La France peut se targuer d'avoir de l'avance dans la production de masques inclusifs. Parmi les quatre sociétés agréées, la plus importante, portée par APF France handicap, ambitionne d'en produire un million par mois. Récit d'une aventure humaine et industrielle.
Ça commence comme une banale histoire de vie. Nous sommes en avril 2020, en pleine période de confinement, la Toulousaine Anissa Mekrabech, atteinte de surdité partielle, se rend dans une pharmacie. Du fait du port de masque et de l'obligation de conserver une distance d'un mètre, elle a le plus grand mal à se faire comprendre. Sur le site Masque inclusif, elle explique que « ce genre de situation entraîne un stress, le repli sur soi et, petit à petit, l'exclusion sociale ».
Partie visible anti-buée
La trentenaire se met en tête de trouver une solution qui combine sécurité sanitaire et possibilité de communiquer. Finalement, le masque est conçu « avec une partie visible anti-buée au niveau de la bouche, qui permet de facilement lire sur les lèvres et de voir l'expression du visage du porteur ». S'ensuit une récolte de fonds pour réaliser le prototype. Au lieu des 5 000 € espérés, le projet du masque inclusif recueille plus de 18 000 €. Il obtient ensuite l'agrément délivré le 17 juillet par la Direction générale de l'armement (1).
Fabrication par des travailleurs handicapés
Pour la fabrication en grand nombre de ce masque, Anissa souhaite trouver une entreprise qui fasse travailler des personnes handicapées et qui batte pavillon tricolore. C'est ainsi que la rencontre a lieu avec le réseau Entreprises d'APF France handicap qui regroupe une cinquantaine de structures – des établissements et services d'aide par le travail (Esat) comme des entreprises adaptées – qui emploient en tout 5 500 personnes. À sa tête, Serge Widawski qui, entre deux coups de fil, nous explique la problématique de cette production massive.
200 salariés nouveaux
« Nos structures ont commencé à fabriquer des masques en tissu dès le 18 mars, raconte-t-il. Depuis deux ans, j'avais commencé à acheter du matériel pour la couture car j'avais l'intuition que l'avenir, c'était la mode éthique ». Grâce à cette anticipation, APF France handicap est capable de répondre tout de suite à la demande. La structure recrute alors 200 salariés dont une majorité de personnes handicapées.
Le coup de pouce de Sophie Cluzel
Mais les besoins en masques en tissu se tassent un peu, d'autant que de nombreux industriels se sont engagés dans ce filon. La rencontre d'Anissa avec le réseau Entreprises d'APF France handicap permet de relancer la dynamique. Cela commence par 500 masques commandés par la société Amazon. Et après cela ne s'est plus arrêté.
« Quand je suis parti en vacances en juillet, on produisait 500 masques par semaine, se rappelle Serge Widawski. Quand je suis revenu début août, nous en étions à 20 000 ». Il faut dire que la secrétaire d'État chargée des personnes handicapées, Sophie Cluzel, a eu un vrai coup de foudre pour ce masque, le portant très souvent et en fournissant à certains membres du gouvernement, à commencer par le Premier ministre. Récemment, l'Education nationale en a passé commande d'un demi-million. Le médico-social devrait également en bénéficier.
Exclusivité française
Les demandes de masques affluent de partout sur la planète. « J'ai été contacté par des clients en Californie, en Australie », narre le directeur national du réseau Entreprises d'APF France handicap, très sollicité par les médias. Par chance, aucun pays émergent ne s'est engouffré dans ce marché. Sans doute parce qu'il ne semble pas, comparé aux centaines de millions de masques ordinaires produits par la Chine, assez juteux.
Un million de masques
En octobre, le fabricant espère atteindre au moins 500 000 masques par mois, voire un million. Actuellement, les compteurs sont arrêtés à 100 000. C'est une véritable course de vitesse qui est engagée pour mettre en service de nouveaux ateliers, recruter de nouvelles personnes handicapées maîtrisant la couture (pas le temps de former les gens...). « Ici, comme à Quimper, nous avons du mal à recruter ; ailleurs, comme à Nancy, c'est plus facile », narre Serge Widawski.
Aides à l'achat
Cette course contre la montre ne relève pas simplement de l'impératif industriel : il en va de la qualité de la relation avec les petits enfants, les personnes souffrant de surdité et d'autres personnes en situation de handicap (pour lesquelles des aides de l’Agefiph et du FIPHFP sont d'ores et déjà prévues). Pour répondre aux besoins, 200 salariés sont affectés pour l'instant à cette fabrication. Mais ce n'est qu'un début...
(1) Trois autres sociétés ont vu leur prototype de masques agréé par l'Etat : la société lyonnaise Odiora qui produit le « masque sourire » ; Where the Daffodils Grow au Pays basque qui réalise le « masque Beethoven », tandis que le « Precimask » produit en Haute-Savoie sera disponible fin octobre.