Après une cinquantaine de jours d'attente, le président de la République a nommé Michel Barnier à la tête du gouvernement. Tour à tour président de département, député, sénateur, ministre, commissaire européen, le Savoyard aura besoin de toutes ses capacités de négociateur, remarquées lors du Brexit, pour faire durer son gouvernement.
La trajectoire de Michel Barnier ne manque pas de sel. En 1978, alors âgé de 27 ans, il est le plus jeune député de France. En mars 1982, lors de son élection à la tête du conseil général de Savoie, il a 32 ans et devient le plus jeune président de département. En septembre 2024, il est nommé Premier ministre par Emmanuel Macron. À 73 ans, c'est le plus âgé des chefs de gouvernement de la Ve République.
Fausse retraite politique
Pas grand monde, à dire vrai, n'attendait le retour du Savoyard aux affaires. Son échec lors des primaires des Républicains en 2021 (arrivé troisième derrière Éric Ciotti et Valérie Pécresse) semblait annoncer une retraite politique à 70 ans bien sonnés. Eh bien non…
Depuis quarante ans, Michel Barnier est un acteur important de la vie politique, à la fois toujours fidèle à sa famille politique de jeunesse, les gaullistes, mais avec des positionnements assez singuliers. Ministre sous quatre Premiers ministres (Édouard Balladur, Alain Juppé, Jean-Pierre Raffarin et François Fillon), ce diplômé de l'École supérieure de commerce de Paris a été l'un des premiers à droite à s'intéresser à l'enjeu de l'environnement. Il sera l'un des promoteurs du principe de précaution.
Grands chantiers
Décrit comme un homme tempéré voire assez fade, le nouveau Premier ministre a parfois conduit de très gros chantiers. Deux exemples : à peine élu à la tête de la Savoie, il défend la candidature des Jeux olympiques d'hiver à Albertville qui auront lieu dix ans plus tard. En 2019, à l'approche du Brexit, il reprend du service pour le compte de l'Union européenne en charge des négociations compliquées avec la Grande-Bretagne.
Déjà ministre des Affaires étrangères dans les années 2000, les qualités diplomatiques de Michel Barnier sont souvent louées. Ce ne sera sans doute pas de trop pour composer un gouvernement et faire passer des textes à l'Assemblée nationale face aux deux fortes oppositions de gauche et d'extrême droite.
Droitisation lors des primaires
Le positionnement assez modéré de Michel Barnier a été troublé par ses prises de position très droitières lors des primaires des LR en vue de la présidentielle de 2022. En matière d'immigration, l'ancien commissaire européen avait proposé la fin des régularisations, la limitation du regroupement familial, la suppression de l'aide médicale d'État (AME) et « zéro immigration sociale ».
Autant de mesures que le Rassemblement national (RN) ne contredirait pas… Ce parti, d'ailleurs, a annoncé qu'il ne censurerait pas le futur gouvernement Barnier.
Opportunisme politique pour plaire à un électorat de droite radicalisé ou vraie droitisation de celui qui, au début de sa carrière politique, incarnait l'aile gauche du gaullisme ? Il faudra sans doute attendre son discours de politique générale pour répondre à cette question.
Incertitude sur le social
Dans ses attributions ministérielles et à la Commission européenne, Michel Barnier n'a jamais été en charge des dossiers sociaux. Bien malin celui qui pourrait savoir quelles positions il prendra par rapport à une future loi Grand âge, la lutte contre la pauvreté ou l'inclusion (lire la réaction de Marie-Anne Montchamp).
Les grandes organisations du secteur (lire ci-dessous) espèrent que l'absence de majorité claire et le risque de censure pousseront le nouveau gouvernement à s'engager sur ces terrains sociaux. Là encore, la déclaration de politique générale du Premier ministre devrait nous renseigner sur la tonalité politique de ce gouvernement aux contours pour le moins flous.
Les sujets sociaux, objet de consensus ?
« Aucune majorité absolue ne s’étant dégagée à l’issue des élections législatives, le nouveau gouvernement devra chercher à dépasser le traditionnel clivage des partis en prônant des sujets susceptibles de consensus : la loi Grand âge autonomie en est un. » Dans un communiqué, l'association de directeurs AD-PA appelle le futur gouvernement Barnier à « se saisir des enjeux majeurs pour le XXIe siècle que sont la démographie, la longévité et la fragilité. » L'association, désormais présidée par Pierre Roux, rappelle la situation très alarmante que connaissent une majorité d'établissements et de services accompagnant des personnes âgées.
Un même sentiment d'urgence saisit la présidente de l'Unicef : « Les enfants ne peuvent plus attendre », s'exclame-t-elle dans un communiqué. Au vu de la situation très grave illustrée par les 2 000 enfants dormant à la rue, Adeline Hazan réclame la nomination d'une ministre de l'Enfance de plein exercice.
La tonalité est identique du côté de « La Dynamique pour les droits des enfants » (regroupant 30 organisations) qui demande que « l'enfance soit au cœur des priorités, allant dans le sens d'une meilleure effectivité des droits de l'enfant ».
Marie-Anne Montchamp : « Il a su se montrer à l'écoute »
Nous avons demandé à l'ancienne ministre Marie-Anne Montchamp de réagir à chaud à la nomination de Michel Barnier : « J'ai côtoyé Michel Barnier dans le gouvernement de J.-P. Raffarin, mais aussi pour avoir travaillé ensemble lorsqu'il représentait notre pays à la Commission européenne en 2010 lors de mon second passage au gouvernement. [...]
Élu territorial, homme de terrain, il connaît les difficultés quotidiennes des Français. La Savoie lui a permis, même quand il était commissaire européen, d'être en prise directe avec la réalité. J'ai le souvenir d'échanges avec lui à Bruxelles quand j'étais ministre de Nicolas Sarkozy où notre gouvernement s'était très largement impliqué dans la lutte contre la pauvreté, pour la sauvegarde du programme européen d'aide alimentaire ainsi que pour permettre de bénéficier d'un compte bancaire. Chaque fois, Michel Barnier a su se montrer à l'écoute. »
Colère de la gauche
Arrivé en tête par le nombre de députés, le Nouveau Front populaire (NFP) a exprimé sa colère face au choix de Michel Barnier. Pour Jérôme Guedj (PS), cette nomination apparaît « comme un camouflet au 7 juillet » [le second tour des législatives]. Il explique dans un tweet que les électeurs ont exprimé « une volonté de changement en sanctionnant la politique menée depuis sept ans » pour récolter de la « continuité ».
L'ex-Insoumis François Ruffin ajoute : « Michel Barnier va-t-il revenir sur la retraite à 64 ans ? Rétablir l'ISF ? Non, bien sûr que non : Macron l'a choisi à ces conditions. Donc nous le censurerons. »