Au lendemain de la conférence des métiers du social et du médico-social, Jean-Luc Gautherot, enseignant à l’Institut du travail social (ITS) de Pau, poursuit, dans cette nouvelle tribune libre*, sa réflexion sur l'obsolescence des professions sociales.
Dans une chronique du 14 janvier publiée par Le Media social, j’évoquais l’hypothèse d’une obsolescence du métier d’éducateur spécialisé au regard des pratiques qui sont exigées par le nouveau modèle inclusif.
J'indiquais également qu’on pouvait supposer une disparition du métier à l’occasion de la refonte “globale des métiers” prévue par la conférence du 18 février. Un rapport commandé à Denis Piveteau devait définir les contours de cette refonte.
Le rapport est publié et la conférence a eu lieu. Tentons de voir quel sera le sort du métier d’éducateur spécialisé et plus largement celui des métiers du travail social dans les mois qui viennent ?
Un constat d’obsolescence généralisée
Les contributions des acteurs de terrain adressées à Denis Piveteau témoignent d’un décalage entre les métiers tels qu’ils sont enseignés et les nouvelles pratiques exigées par le modèle inclusif montant.
Le rapport indique que : “Dans ce contexte de changement, il peut être parfois difficile, pour un professionnel, de savoir si le métier qui a été appris est encore, ou est vraiment, celui que les employeurs recherchent.”
“À cela s’ajoute le sentiment, souvent formulé, d’un décalage très fort entre l’idée que se font de leur futur métier les assistants, moniteurs ou éducateurs fraîchement recrutés et les réalités nouvelles auxquelles ils sont confrontés.”
Des métiers inadaptés au projet de société inclusive
Le rapport en conclut que les métiers du travail social ne sont pas adaptés au projet de société inclusive. L’argumentaire suivant est développé. Pour que le projet de société inclusive devienne réalité, il faut que la société change. Pour cela, les travailleurs sociaux doivent transformer radicalement leurs pratiques pour devenir les agents de cette transformation sociale et du mouvement de désinstitutionnalisation.
Le texte indique qu’il faut “installer les professionnels de l’accompagnement dans la position d’être les catalyseurs de cette transformation”. Ou encore, qu’ils doivent venir en appui de la volonté “des personnes qui frappent à la porte de la société ordinaire et [de] celle de ce même milieu ordinaire, en ce qu’il s’engagera à ouvrir la porte plus grand.”
Le rapport prend également soin d’expliquer comment les personnes les moins armées par la vie en milieu ordinaire continueront à être accompagnées.
L’idéal de la société inclusive comme nouvelle source d’attractivité des métiers
Le rapport pose ensuite l’hypothèse suivante : la perte d’attractivité des métiers du travail social n’est pas liée qu’à la seule question des salaires. Selon l’auteur, ce qui pose problème, c’est le regard négatif que la société pose sur ces métiers à savoir : s’occuper de distribuer des secours publics à ceux qu’on désigne comme vulnérables et dont la société ne veut pas : ”Car des métiers que l’on confine, implicitement, dans l’accompagnement des mis à l’écart, courent le risque d’être, eux-mêmes, des métiers mis à l’écart.”
Selon Denis Piveteau, un travail social qui aurait pour objectif de changer la société pour la rendre inclusive rendrait à nouveau les métiers attractifs en particulier pour les jeunes générations en quête de sens et d’idéaux.
Un “en même temps” difficilement tenable
Ces constats étant posés, le rapport Piveteau propose-t-il clairement la disparition de métiers historiques ou de certains métiers comme on pourrait le supposer ? Hé bien non.
Les préconisations prônent une forme de ”en même temps” qui doit conjuguer selon le texte “stabilité des identités professionnelles et adaptabilités des métiers“. Mais on voit mal comment les identités de métiers pourraient être préservées si les changements de pratique promus par le rapport devenaient réalité.
Les éducs et les moniteurs-éducateurs dans le viseur
Parmi tous les métiers, éducateur spécialisé et moniteur-éducateur sont les plus questionnés dans leur inadéquation avec le nouveau modèle inclusif. Le rapport évoque l'hypothèse d’un changement de nom.
Les mots “éducateurs” et “moniteurs” étant jugés inadéquats avec le rapport de pouvoir horizontal que nécessite l’autodétermination : “la question est parfois soulevée d’un changement de terminologie, pour éviter l’effet de surplomb qu’évoquent les mots « d’éducateur » ou de « moniteur », par exemple, et pour mettre en valeur l’utilité sociale plus large de ces professions.”
Le rapport laisse clairement entendre une volonté de refonder une nouvelle identité pour ces deux métiers : “Au demeurant, dans une perspective de projet social « inclusif », la notion « d’éducateur » ou de « moniteur », pensée désormais comme dirigée vers le corps social tout entier, peut trouver une pertinence nouvelle”.
Une réforme inclusive des diplômes qui ne dit pas son nom
Même si le rapport ne parle pas clairement de réforme des diplômes, ses préconisations mises bout à bout y ressemblent fortement.
Il est question de faire travailler la CPC [commission professionnelle consultative] sur une cartographie des nouveaux métiers. De corriger le contenu des formations initiales. De mettre en place un “plan massif” de formation continue. De généraliser l’intervention des usagers en tant que formateur dans les écoles du travail social. De mettre en place “un plan spécifique pour les fonctions d’encadrement“ avec une “offre de formation adaptée”.
D’institutionnaliser les nouveaux métiers du modèle inclusif comme celui de case manager sur le modèle des infirmiers en pratique avancée (IPA). Ou encore de permettre des ponts entre tous les métiers avec la pratique avancée.
Les décisions de la conférence des métiers
Enfin, on peut regretter que l'intervention de Denis Piveteau ne fasse pas partie des deux vidéos de la conférence des métiers qui ont été rendues publiques par le gouvernement. Les enjeux de la revalorisation salariale et de la création d’une convention unique semblent avoir un peu écrasé celui de la refonte des métiers qui reste pourtant majeur puisque dans son discours de clôture, le Premier ministre évoque la création d’un “nouveau référentiel de formation des professionnels du travail social”. Il faudra attendre pour connaître le contenu de ce nouveau référentiel.
En effet, la conférence a chargé le Haut conseil du travail social de produire un livre vert sur l’avenir des métiers et le Premier ministre a demandé aux différents ministères de se coordonner pour créer un “comité des métiers socio-éducatifs” dont la mission sera je cite “d’organiser dans la durée un pilotage resserré de la bonne mise en œuvre d’un agenda ambitieux pour ces métiers.”
Les préconisations de Denis Piveteau seront sans nul doute interrogées par ces deux instances. Le degré de rupture identitaire des métiers dépendra de leurs conclusions. Un épisode 3 en perspective !
Les précédentes chroniques de Jean-Luc Gautherot :
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