Auteurs, journalistes, slameurs, poètes, rappeurs : les artistes de la parole deviennent de plus en plus familiers des espaces du social. En ateliers, ces intervenants extérieurs créent un espace d’échange qui permet aux personnes de s’exprimer. Et qui vient, parfois, remuer la relation entre accompagnants et accompagnés.
Dans un foyer de vie, un couple confie avoir envie de dîner en tête-à-tête, là où l’organisation de la salle impose des tables de quatre, empêchant tout repas intimiste. Dans une association accueillant des femmes victimes de violences, certaines parviennent à parler à nouveau de sexualité, de désir.
Interventions extérieures
Dans une maison d’enfant à caractère social (Mecs), des jeunes filles tendent leur micro à d’autres personnes, récoltent des récits pour monter elles-mêmes leurs émissions. Au sein d’un établissement public de santé mentale (EPSM), un petit groupe aux vies chamboulées prend les stylos pour se raconter...
Toutes ces prises de parole ont pu naître grâce à l’intervention de personnes extérieures aux équipes éducatives. Écrivains, artistes de la parole et journalistes deviennent de plus en plus familiers des espaces du social.
Faire émerger une parole
En invitant des artistes à intervenir auprès de différents publics éloignés du monde culturel, professionnels du social et de la culture tentent de faire émerger une parole souvent inaudible, parfois tue. Et doivent confronter leurs cultures professionnelles, non sans, parfois, une certaine réticence.
Les clichés sur l'univers de la culture peuvent avoir la vie dure dans les espaces du social. Certains professionnels du médico-social, peu familiers eux-mêmes de cet univers, projettent leurs propres représentations et ne voient tout simplement aucun apport à ces interventions.
Des réticences
D’autres craignent de mettre en difficulté leur public : vont-ils savoir écrire, animer une émission de radio, s’exprimer sur scène ? Vu les fragilités liées à la violence de leurs histoires personnelles, écrire, parler, se raconter, ne risque-t-il pas de réveiller les traumatismes dans un cadre non adapté, car non-thérapeutique ?
D’autres encore peuvent voir d’un œil cynique les fonds débloqués pour l’action culturelle quand les budgets du social s’amenuisent. Appels à projet culture-justice, culture-santé, résidences d’artistes en milieu médico-social, mission d’appui artistiques, Clea (lire l'encadré ci-dessous) : les dispositifs amenant les artistes à poser leurs valises dans les structures médico-sociales ne manquent pas. Ils entraînent, indéniablement, de la dépense publique.
Un budget pour de l'accessoire ?
Une confrontation de budgets qui peut interroger. Dans une maison d’enfants où, faute de place, les matelas sont déployés dans les espaces collectifs, comment accueillir sereinement l’intervention d’artistes sans se dire, au fond, que le budget aurait pu être déployé ailleurs ?
Face à l’urgence et la précarité, l’ouverture culturelle peut être reléguée au rang des activités non essentielles.
Une bulle
Mais de l’avis de nombreux professionnels ayant participé à ces projets avec leurs publics, ces réticences ne résistent pas à l’expérience. Tous sont unanimes : ces ateliers créent une « bulle ». Les artistes de la parole – auteurs, comédiens, slameurs, poètes, journalistes, podcasteurs -, lorsqu’ils passent la porte des structures du social, viennent remuer les habitudes.
À l’heure où la participation des personnes accompagnées à leur propre parcours d’accompagnement est au cœur de la pratique sociale, les artistes viennent, avec leurs outils et leur culture professionnelle, impulser cette prise de parole. La relation éducative se déplace, accompagnants et accompagnés se découvrent autrement.
Parler de vie affective et sexuelle
« À l’origine, nous proposons des ateliers autour de la vie affective et sexuelle avec des personnes en situation de handicap psychique et mental, explique Sophie Gorisse, membre du Collectif Zef, basé à Toulouse. L’idée étant de partir des gens, de leurs réalités, de leurs problématiques, en considérant ces espaces collectifs comme émancipateurs. »
Dans ces ateliers, les équipes éducatives sont absentes. L’association cherche à « ouvrir un autre espace de parole que celui qui existe au quotidien avec l’équipe, pour parler d’autre chose. Comme nous venons de l'extérieur, c’est plus facile de parler des conditions de vie ou du rapport avec les éducateurs et éducatrices. » Les intervenantes du Collectif Zef pouvant, si les personnes concernées le souhaitent, se faire ensuite relais auprès des équipes.
Faire porter les voix
Pour l’ouvrage Notre corps, nous-mêmes, elles ont été invitées à récolter des paroles de femmes travaillant en établissement et service d'aide par le travail (Esat) autour des questions de vie affective et sexuelle. De ces ateliers ont émergé des récits publiés dans l’ouvrage et diffusés dans une émission de radio.
C'est la première fois que leurs ateliers débouchent sur une prise de parole publique. Habituellement, ceux-ci ont lieu à huis clos. Les membres du collectif s’interrogent alors : « Comment révéler la parole des femmes dont on n’entend jamais la voix, comment faire porter leur voix à l’extérieur ? » Ce qui, rapidement pose d’autres questions. Comment passer du « cocon » de l’atelier, où le cadre posé implique une confidentialité, à une prise de parole dirigée vers le public extérieur ?