Le projet « zéro rejet » repose sur le principe que dans les échanges sociaux toute personne, quelle que soit sa singularité, est une ressource pour les autres. Il s’agit de créer les conditions pour que personne ne soit mis à l’écart du jeu sociétal, comme nous l'explique Roland Janvier, chercheur en sciences sociales, dans cette tribune libre*.
Les rapports du Giec sont de plus en plus alarmants, la récente COP 27 n’a pas atteint des objectifs à la hauteur des enjeux. Tout le monde en convient : la lutte contre le réchauffement climatique est une urgence absolue !
Pour cela, nous devons envisager de réformer en profondeur nos manières d’être pour ne plus vivre au-dessus de nos moyens énergétiques. Nous devons tous « faire monde » autrement. Mais comment opérer cette révolution sans envisager, dans le même mouvement, de « faire société » autrement ?
« Fin du monde, fin du mois, même combat ! »
Il n’est plus possible d’envisager de changer le rapport de l’être humain à la nature sans interroger la façon dont ces mêmes humains vivent en société. L’enjeu écologique est étroitement intriqué aux enjeux sociétaux. Les gilets jaunes l’avaient compris avec leur slogan : « fin du monde, fin du mois, même combat ! »
Le combat pour l’avenir de la planète peut nous instruire sur les luttes à mener pour réaliser une société plus habitable pour tous. C’est ainsi que des parallèles peuvent être établis entre les thèmes environnementaux et les sujets de société.
Non seulement ces analogies permettent des transferts de problématiques pour mieux comprendre les phénomènes, mais ils établissent, de surcroît, une connexion étroite entre la nature et la culture.
Ils permettent de réviser radicalement nos représentations des rapports de l’espèce humaine à l’univers qui accepte de l’abriter – jusqu’à nouvel ordre…
Ambition « zéro déchet »
Par exemple, l’ambition « zéro déchet » – portée par certaines organisations – peut nous aider à envisager ce que serait une société « sans rejet ». La notion de déchet est relativement récente dans l’histoire de l’humanité. Avant l’industrialisation et l’exploitation massive des ressources fossiles, les produits rejetés par l’activité humaine étaient réinvestis dans des cycles naturels de production.
Plus notre monde s’est développé plus il a produit de déchets non réutilisables. La prise de conscience des risques présentés par ces « déchets fatals » a suscité leur traitement, puis leur limitation par diverses méthodes (réduction du jetable, tri et compostage, réutilisation, recyclage…).
Aujourd’hui, chacun convient qu’il faut aller plus loin. C’est notamment la perspective ouverte par Gunter Pauli avec l’économie bleue. Il propose de s’inspirer des cycles naturels dans lesquels la notion même de déchet n’existe pas : « Dans la nature, le déchet de l’un est toujours l’aliment, l’apport énergétique, ou la source matérielle de l’autre. Tous les éléments appartiennent à une chaîne complexe, dynamique et intégrée » [1].
Viser une société « zéro rejet »
L’histoire des déchets nous montre que des individus ont étendu la notion de déchet matériel à celle de déchet social. Notre société produirait-elle des déchets humains ? Certains ont retenu cette idée intolérable, enfermés qu’ils sont dans de sombres idéologies.
Cependant, l’assimilation des phénomènes sociaux aux modèles de production des objets matériels – de plus en plus générateurs de rebuts, scories et détritus – nous amène insidieusement à considérer qu’une société ne peut pas fonctionner sans produire des phénomènes de rejet. C’est ainsi que les concepts de marginalité et d’exclusion ont fait leur lit dans le monde des idées.
À l’instar d’une ambition « zéro déchet » pour le monde des objets, qui préservera l’avenir de la planète, nous devons viser une société « zéro rejet », qui préservera l’avenir d’une société du vivre ensemble.
Société « zéro rejet » pourrait bien être le nouveau nom de la société inclusive visée par les politiques sociales. Nouveau nom qui élève encore les ambitions.
Il ne s’agit plus seulement de mettre en œuvre l’intégration des personnes en situation de handicap ou, plus largement, en situation de vulnérabilité, voire d’améliorer l’accessibilité de l’offre sociale. Il s’agit de créer les conditions pour que personne ne soit mis à l’écart du jeu sociétal.
Des bénéfices pour tous
Reprenant à son compte l’idée que le déchet matériel n’existe pas – puisque tout élément produit constitue une ressource pour l’écosystème – le projet « zéro rejet » repose sur le principe que dans les échanges sociaux toute personne, quelle que soit sa singularité, est ressource pour les autres.
La prise de conscience de ce fondement d’une société fraternelle permettra de valoriser autrement ce qui se vit déjà. En effet, aménager l’espace public pour le rendre accessible améliore le cadre de vie de tous : les personnes à mobilité réduite sont une ressource pour la qualité de vie.
Équiper les logements pour faire face à la dépendance liée au grand âge améliore l’habitabilité : les personnes âgées sont une ressource pour le confort de vie.
Utiliser les sensibilités différentes des personnes porteuses d’un désavantage (handicap sensoriel, physique ou psychique) permet d’enrichir les champs perceptifs et les niveaux de compréhension du monde : les personnes handicapées sont une ressource pour toute la société.
L’expérience de ce refus du rejet permettra d’allonger cette liste des bénéfices à tirer d’une société réellement inclusive et de prendre conscience du gaspillage que représente une société excluante de certains de ses membres.
[1] Pauli G. (2019), L’économie bleue 3.0, Les éditions de l’Observatoire, p. 24.
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