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Article30 mars 2020
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Peut-on confiner les SDF sans consentement ?

Face à l’épidémie de Covid-19, le gouvernement impose le confinement à tous les Français. Mais cette mesure s’applique difficilement aux personnes à la rue. Julien Damon, professeur à Sciences Po, se penche sur la question.

Comment adapter la gestion de l’épidémie aux SDF, particulièrement vulnérables et potentiellement contaminants ? Dans une contribution intitulée Sans-abri et épidémie : que faire ?, publiée sur le site de la Fondation Jean Jaurès, Julien Damon, professeur associé à Sciences Po et conseiller scientifique de l’École nationale supérieure de la sécurité sociale, évoque notamment la question du consentement au confinement.

Rappel historique

« Le sujet des sans-abri a sempiternellement été lié à la crainte des épidémies », rappelle Julien Damon. « Dans la plupart des cas, il fallait enfermer, pour réprimer, se protéger et empêcher des contagions ».

Il faut attendre la deuxième moitié du XXe siècle pour que les politiques publiques passent d’une logique d’enfermement et de mise à l’écart des vagabonds à une logique de préservation de la dignité de la personne. Encore en 1955 est créée une équipe de ramassage des vagabonds chargée « de ramasser et d’amener, par la coercition, des individus vers des douches et hébergements obligatoires ».

De nos jours, l’enfermement systématique n’est plus légal, mais se pose la question du confinement. C’est le choix qu’a fait le gouvernement pour toute la population française, afin de ralentir la propagation du virus, mais il ne va pas sans poser de problème en ce qui concerne les personnes qui n’ont pas de domicile, qu’elles résident dans la rue ou qu’elles se trouvent dans des centres d’hébergement divers.

Augmenter les places d’hébergement

Comment confiner tout le monde, y compris ceux qui n’ont pas de « chez eux » ?

Une option qui s’offre aux pouvoirs publics est de proposer un hébergement à ceux qui n'en ont pas et de déplacer les personnes contaminées dans des structures plus adaptées. « Le confinement s’organise […] dans un centre d’hébergement, qu’il s’agisse d’un centre d’hébergement classique disposant de places ou de nouveaux centres spécialement dédiés ».

Il faudra bien sûr de nouvelles places et de nouveaux moyens en personnels. Les « pouvoirs publics et associations sont, depuis des décennies, habituées à travailler ensemble et à ouvrir rapidement des hébergements, en urgence » rappelle l’auteur. Et même s’il faut, coronavirus oblige, veiller à ce que les conditions particulières de prévention sanitaires soient respectées, notamment en matière de distance de sécurité, la tâche est tout à fait réalisable par les différents acteurs administratifs et associatifs estime Julien Damon. Le nœud du problème est ailleurs.

Confiner sans consentement ?

Le nœud du problème, c’est bien le consentement au confinement. « Que faire si un sans-abri ne veut pas partir ? S’il n’accepte pas d’aller vers un centre qui lui est proposé ou assigné ? S’il ne respecte pas les consignes de confinement et quitte le site ? » demande l’auteur.

Doit-on les assigner à la portion d’espace public qu’ils occupent et les empêcher (comment ?) d’en bouger ? Doit-on les obliger par la force à quitter leurs tentes, leurs campements ? Est-ce qu’un tel « domicile » peut faire l’objet d’un confinement ?

Quelle que soit l’option retenue, en période d’épidémie, « situation exceptionnelle, faite d’incertitudes juridiques larges sur tous les plans, tout peut s’imaginer » soutient l’auteur. Cela peut éventuellement passer une limitation des libertés individuelles. Mais après l’épidémie ?

Le Covid-19 ne fait que révéler avec « une acuité élevée » une question qui ne date pas d’hier et qui sera toujours d’actualité après l’épidémie : « à quelles conditions peut-on rester à la rue sans mise en danger, de soi et d’autrui ? ».

L’hébergement, problème structurel

Julien Damon

Pour l’heure, face au Covid-19, Julien Damon préconise que les principaux acteurs du secteur puissent continuer à se déplacer et à exercer, avec en quantités suffisantes le matériel dont ils ont besoin pour se protéger et protéger les sans-abri. Il avance aussi qu’ « il faut envisager bien davantage de contraintes sur les personnes refusant habituellement la prise en charge ». C’est pour lui « une question éminente de santé publique ».

Mais au-delà des problèmes concrets posés par le Covid-19, l’épidémie met en évidence « les carences et les failles contemporaines de la politique d’hébergement et de prise en charge », car « le problème n’est pas conjoncturel mais structurel » précise Julien Damon.

Des villes plus saines

L’auteur souligne que l’épidémie fait également ressortir le manque d’hygiène des villes, et notamment l’absence de points d’eau « accessibles, propres et sécurisés ».

Et Julien Damon de conclure : « Ce que nous dit l’épidémie, à long terme, c’est la nécessité de villes plus saines. Pour tous. ». Un manifeste déjà évoqué dans son livre Qui dort dehors ? où il préconisait « une offre suffisante de services, rationalisée et adaptée, offerte à tous » pour que tout individu puisse respecter les « obligations et […] interdictions régissant l’espace public ».

Marie-HélèneKHOURI
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