Hier, à J+7, le confinement lié au Covid-19 dans les établissements de protection de l’enfance et habilités PJJ devenait déjà difficile. À Toulouse et alentour, des professionnels témoignent d’un quotidien en effectif réduit, sans appui sur l’extérieur et sans matériel de protection.
« Nous nous occupons des enfants de l’État, pourtant nous n’avons aucune reconnaissance, nous ne faisons pas partie des professionnels dits "prioritaires". Je voudrais qu’on nous entende ! (*) », Anne Dufour, directrice d’un centre éducatif ouvert habilité protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) situé en banlieue de Toulouse et géré par l’association Ades Europe, oscille entre colère et impuissance. Elle décrivait hier une situation devenue très difficile dans son établissement.
Le centre accueille 11 jeunes, majoritairement mineurs non accompagnés, en alternative à l’incarcération. Ayant pour vocation de les soutenir dans leur réinsertion sociale, il est ouvert sur l’extérieur pour l’accès à des stages, des formations, l’emploi et des activités. Seule obligation, d’ordinaire : être de retour le soir.
Fugues et mises en danger
« Depuis sept jours, les jeunes sont évidemment confinés. Il faut gérer leurs peurs, souvent dues à l’absence de nouvelles de leur famille, et aussi leurs problématiques d’addiction. Ils ne peuvent plus sortir pour aller s’acheter de quoi consommer, ce qui génère des fugues et des mises en danger », décrit la directrice.
Pour les accompagner, le nombre d’éducateurs est réduit de moitié. « Certains avaient des symptômes de type rhume ou trachéite et ont été placés en arrêt maladie par précaution, d’autres ont des pathologies qui les rendent vulnérables et doivent rester chez eux », poursuit Anne Dufour. Le centre fonctionne désormais avec deux éducateurs par jour au lieu de quatre, et un veilleur de nuit.
Des professionnels fatigués
« Avec cette équipe affaiblie, les journées sont forcément beaucoup plus longues, les professionnels en poste très fatigués. Ils craignent aussi d’être contaminés par le virus, de le ramener au centre et dans leurs familles. Car ils n’ont évidemment pas de masque pour travailler ».
Heureusement les jeunes peuvent s’aérer dans le grand espace champ attenant à ce corps de ferme toulousain. « Nous avons installé un terrain de foot, avons pu acheter des ballons et des raquettes de ping-pong. On peut manger dehors aussi, faire des barbecues. Nous passons aussi beaucoup de temps avec eux à nettoyer le centre, les chambres, désinfecter ».
Des jeux de société et une console complètent l’attirail « loisirs », mais n’empêchent pas certaines montées de tension, inévitables chez des jeunes en reconstruction, habitués à sortir et désormais en vase clos.
Solidarité associative
« Je voudrais qu’on salue le courage des professionnels. Notre cuisinier souffre de diabète, il devrait être arrêté mais il vient quand même car il sait à quel point l’alimentation est importante pour les jeunes en ce moment ».
Anne Dufour peut aussi compter sur la « solidarité associative » au sein d’Ades Europe, qui gère une douzaine d’établissements et services en Haute-Garonne, Ariège, Gers et dans les Hautes-Pyrénées. « Un de nos jeunes qui était rentré chez lui pour y vivre le confinement a finalement fugué, il est revenu sur le centre et ne voulait pas rester confiné. Nous l’avons emmené dans un centre éducatif fermé géré par l’association pour qu’il soit pris en charge pendant cinq jours. Et un des salariés de centre est venu en renfort chez nous ».
Jusqu’à 30 % du personnel en arrêt
Nicolas Gaddoni, directeur général d’Ades Europe, estime qu’entre 25 % et 30 % du personnel sur l’ensemble des établissements est en arrêt maladie. « Dans les maisons d'enfants à caractère social (Mecs), la plus grande difficulté est d’arriver à occuper les enfants avec moins d’effectifs et moins de moyens, puisque sans l’appui des activités sur l’extérieur », décrit-il.
Afin de gérer l’urgence et de maintenir un taux d’encadrement minimal, l’association a fait appel à des professionnels intérimaires via Coopemploi, une Scic toulousaine créée par plusieurs associations pour les remplacements dans le secteur médico-social. Des stagiaires ont aussi été sollicités et certains professionnels redéployés.
Tension sur le placement à domicile
Côté placement à domicile (PAD), la situation est tendue. « Nous limitons nos visites au strict minimum, vraiment en cas d’urgence, mais nous maintenons un lien téléphonique permanent avec les familles » souligne Nicolas Gaddoni. À mesure que le confinement se prolonge, il se prépare déjà à des « replis », c’est-à-dire des retours d’enfants actuellement en famille vers des établissements.
« Nous avons déjà quelques lits dédiés et nous sommes en train de réfléchir à la mise en place de sas pour les enfants qui seraient malades, en lien avec d’autres associations. Sur Toulouse nous souhaitons réquisitionner un institut thérapeutique, éducatif et pédagogique (Itep) ou un institut médico-éducatif (IME), qui accueillerait uniquement ces enfants ».
Manque de masques
Car Nicolas Gaddoni redoute la survenue du coronavirus dans les établissements et sait qu’il faut anticiper. « Nous n’avions qu’un stock d’une cinquantaine de masques hérités de la grippe H1N1, et pour le transfert d’un jeune nous en avons déjà utilisé 10. La PJJ doit nous en fournir aujourd’hui ».
Il est surtout inquiet pour les deux accueils de jour et les deux centres d’hébergement d’urgence pour personnes sans abri également gérés par l’association. « Il est très difficile de confiner ce public », souligne-t-il.
Prioriser aussi le travail social
Face à une situation complexe et très évolutive, Nicolas Gaddoni souhaiterait des consignes beaucoup plus synthétiques de la part des autorités. « Nous sommes abreuvés de mails, je comprends la difficulté mais ils sont parfois très longs à lire et génèrent du flou. Nous avons besoin de clarté pour être efficaces ».
Il plaide lui aussi, notamment auprès de la Convention nationale des associations de protection de l'enfant (Cnape) et de la fédération d'employeurs Nexem, pour que les professionnels soient mieux soutenus et enfin reconnus comme prioritaires. « Ils sont fatigués et commencent à être démotivés. L’autre jour je me suis fait arrêter quatre fois sur la route, il a fallu que je me justifie sur mon activité. Il faut que cela cesse ». (*)
(*) Dans la journée d'hier, lundi 23 mars, deux mesures ont toutefois été prises, qui devraient faciliter le quotidien des travailleurs sociaux. D'une part, les professionnels des établissements et services publics et associatifs de protection de l’enfance et de PMI font maintenant partie des professionnels prioritaires pour bénéficier de la garde d’enfants. D'autre part, une seule attestation suffit désormais pour les déplacements professionnels.