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Préserver l'apport singulier des pairs : un enjeu pour le travail social

Longs FormatsAudrey GUILLER06 février 2025
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Dans une équipe, la présence d'un travailleur pair peut être une vraie plus-value, notamment parce qu'il incarne concrètement l'espoir d'un autre avenir possible pour les personnes accompagnées. Encore jeune, ce métier au statut fragile vient questionner des organisations sans avoir toujours le pouvoir de les transformer.

Cela pourrait ressembler à un bouleversement de l'accompagnement social. Car le travail pair remet en question une frontière historique : celle qui sépare les experts des ignorants, les soignants des patients, les accompagnants des accompagnés.

La travailleuse ou le travailleur pair - ou encore pair-aidant - est un professionnel de l'accompagnement doté de savoirs d’expérience acquis au fil d’un parcours de vie similaire à celui des personnes qu'il aide : vie à la rue, grande précarité, troubles psychiques, addiction, etc. C'est une personne qui s'est rétablie et qui a objectivé ses connaissances de manière à pouvoir les transmettre.

Un métier en développement

Delphine Samyn, pair-aidante. DR

Héritière des groupes d’entraide mutuelle (GEM) et poussée par des lois comme celle de 2002 pour une plus forte participation de ceux que l'on nommait encore récemment « les usagers », la pair-aidance revêt des visages multiples.

On constate qu'elle s’institutionnalise peu à peu : les travailleurs pairs rémunérés se multiplient. « Les structures valorisent de plus en plus notre expertise, car elle améliore la qualité de l’accompagnement », constate ainsi Delphine Samyn, pair-aidante depuis trois ans dans un établissement et service d'accompagnement par le travail (Esat) de l'association Messidor, en Isère.

Encore minoritaire 

« On sent une dynamique », confirme Vincent Morival, administrateur à la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS) des Hauts-de-France et directeur du pôle accueil de l'association Abej/solidarité, qui emploie une dizaine de travailleurs pairs. 

Ayant d'abord intégré les secteurs de l'addiction, la réduction des risques et la santé mentale, des travailleurs pairs commencent à rejoindre les champs de l'hébergement, de la grande précarité et du handicap. Mais ils restent très minoritaires. « Il n’y a même pas 2 000 postes salariés en France », évalue Ève Gardien, responsable scientifique du programme EXPAIRs.

Associer l'équipe

Leur rareté, leur nouveauté et leur positionnement décalé ne facilitent pas leur intégration dans les structures. « Le principal frein a été d'être pionnière », raconte Delphine Samyn, qui a co-défini son profil de poste et ses outils, en même temps qu'elle essayait de gagner la confiance de l’équipe et des personnes accompagnées : « Mais ça s’est déroulé de manière positive et fluide ».

Certains dispositifs innovants, comme ceux du « logement d'abord » incluent dès le départ un travailleur pair. Ailleurs, il doit se greffer à un service qui fonctionne sans lui depuis trente ans. « Quoi qu’il en soit, ce n'est pas à lui de se faire sa place en arrivant », prévient Alexandra Briacca, chargée de mission en Auvergne-Rhône-Alpes pour la plateforme Travail pair, dont le but est de promouvoir et développer la pratique. Selon elle, l'équipe qu'intégrera le pair doit être consultée et associée à la décision.

La crainte d'être remplacé

C'est ce que fait l'Abej solidarité, bien en amont du recrutement, « pour familiariser les équipes avec le concept de pair ». Ainsi, les travailleurs sociaux s'interrogent sur leurs représentations : « Ils questionnent souvent le rétablissement, observe Alexandra Briacca. Ils craignent que le travail en proximité avec les publics ne fasse rechuter la personne. »

Une autre inquiétude surgit régulièrement : « Dans un contexte de contraction budgétaire, certains professionnels voient dans le pair un métier émergent low cost qui pourrait se substituer au leur », constate Vincent Morival. La plateforme conseille de ne jamais embaucher un pair à moyens constants, pour éviter la crainte du remplacement. À l'Abej, un comité constitué notamment de deux salariés procède au recrutement : « Ils peuvent ainsi poser directement leurs questions ».

Des besoins spécifiques

Vincent Morival, directeur du pôle accueil de l'association Abej/solidarité. DR

Se préparer à accueillir un travailleur pair, c'est aussi lui prévoir un accompagnement adapté. « Cela reste des salariés avec des besoins spécifiques, observe Vincent Morival. Après une lune de miel, les difficultés auxquelles ils doivent faire face peuvent les déstabiliser ». 

À l'Abej/solidarité, chaque pair est parrainé par un collègue référent. Un groupe de parole offre la possibilité aux pairs d'échanger entre eux et elles.

Delphine Samyn confirme cette nécessité : « Bien que rétabli, le pair-aidant n’est pas guéri. Il doit se battre contre les effets non traitables de la maladie ou ses symptômes négatifs. Un environnement bienveillant et un accompagnement hiérarchique adapté sont indispensables ». 

Rester vigilant 

Sur le terrain, les travailleurs sont « solides » dans leurs missions, remarque la plateforme Travail pair, qui a mené une étude intéressante en Isère. « Mais on réfléchit avec une avocate à la question des aménagements de poste, explique Alexandra Briacca. Comment les vulnérabilités peuvent s'inviter au travail ? »

Autre point de vigilance : que la pairité ne soit décrétée par l'institution seule « Si les personnes accompagnées ne parviennent pas à s'identifier au pair, c'est peut-être que celui-ci a été mal aiguillé, explique Alexandra Briacca. C'est potentiellement douloureux pour lui ».

L'espoir d'un avenir possible 

Selon les structures, les missions confiées aux pairs diffèrent. Beaucoup se voient néanmoins confier un travail d'accompagnement individuel en « allant vers » le public et des animations de groupes de parole et d'ateliers. Pour certaines équipes, l'apport du travailleur pair est clair : ils et elles incarnent l'espoir d'un autre avenir possible pour les personnes accompagnées, disposent de clés pour les aider à gérer leur quotidien, repèrent précocement leurs difficultés et permettent de personnaliser les accompagnements.

Des relations horizontales