Alors qu'aucune solution concrète n'a été proposée pour le versement de la prime pour les professionnels de l'aide à domicile, la révolte gronde, des structures de base aux responsables des fédérations. Un courrier commun vient d'être adressé à Édouard Philippe.
C'est peu de dire que l'initiative du 11 mai prise par le ministre des Solidarités et de la Santé a fait un flop phénoménal. Ce jour-là, Olivier Véran veut sans doute bien faire : il lui faut rectifier le tir après son annonce le 7 mai d'une prime versée notamment aux professionnels des Ehpad, oubliant totalement les aides à domicile. Dans son communiqué du 11 mai sur le plan d'aide en direction des Ehpad, il glisse un paragraphe sur l'aide à domicile. « Cette prime sera également versée dans les services d’aide et d’accompagnement à domicile, dont l’engagement durant la crise est à souligner. Les échanges se poursuivent avec les départements, dans le respect des compétences de chacun, pour en assurer le financement. » La première phrase ne pose pas de problème, la seconde, si.
Aux calendes grecques !
Le Media social, dans un article intitulé « La prime sera bien versée aux aides à domicile », s'intéresse surtout à la première phrase. Pour nombre de professionnels, il n'est pas possible d'être affirmatif : trop de promesses n'ont pas été tenues ; trop souvent, les départements n'en ont fait qu'à leur tête, par exemple pour le versement des aides exceptionnelles. Antoine Masson (DG de @Anjousoin) relève avec ironie sur Twitter : « Les échanges se poursuivent avec les départements, dans le respect des compétences de chacun, pour en assurer le financement." cela veut dire : les calendes grecques ! »
« L'APA n'a pas été revalorisée »
Sur les réseaux sociaux, les commentaires aigres-doux se multiplient en direction des départements. @Irissone07 s'exclame : « Dans mon département à moi, la valeur moyenne du point GIR, qui sert de base au calcul de la dotation APA, n'a jamais été revalorisée depuis 2016, ni pour tenir compte de l'inflation, ni pour tenir compte de mesures comme la disparition des emplois aidés ou la prime "Grand âge" » L'ADMR Eure-et-Loir remarque : « Les conseils départementaux ne se battent absolument pas pour l'attribution de cette prime ! Quand on est aussi peu investi à défendre les services, il serait honnête de ne pas réclamer de les financer. »
Et le fonds d'urgence 2019 ?
Dans un communiqué, la fédération UNA dénonce l'iniquité d'un financement par les départements et rappelle les précédents fâcheux dans la confiance accordée aux départements. Comment se fait-il que le fonds d'urgence voté par la LFSS de 2018 n'a pas été mis en œuvre ? « Les appels à candidature lancés par les conseils départementaux sont très disparates, voire sortent du cadre fixé par le décret du 17 mai 2019 », dénonce la fédération associative.
Union sacrée pour écrire au Premier ministre
La situation provoque des remous dans toutes les directions. Pour monter d'un cran dans la mobilisation, les acteurs du secteur se sont tournés vers le Premier ministre dans un courrier daté du 13 mai. Toutes les fédérations des secteurs associatif et commercial se sont mises d'accord sur cette démarche commune - un petit événement dans le monde très cloisonné de l'aide à domicile. Les signataires insistent dans leur missive sur un sentiment d'injustice : « Comment justifier qu’en fonction du mode de financement de la structure qui les emploient des professionnels qui assurent des mêmes missions de prendre soin auprès de personnes âgées en perte d’autonomie ne bénéficient pas de la même reconnaissance par les pouvoirs publics » , écrivent les organisations signataires.
La même prime que pour les Ehpad
Lesquelles poursuivent en décrivant les réalités du travail en temps de Covid : « Ces professionnels ont été confrontés aux mêmes risques de contamination et ont pourtant continué, dès le premier jour, à assurer leur mission d'accompagnement malgré les difficultés d’approvisionnement en équipements de protection individuelle, d’absence totale de dépistage et des conditions salariales précaires liées au système de tarification des services. » Les organisations demandent à Édouard Philippe de faire rapidement des annonces sur le versement de cette prime pour les professionnels sur le même modèle que dans les Ehpad.
Vers un deal entre État et départements ?
La pression n'est pas près de retomber dans ce secteur. Jeudi 14 mai, les organisations ont remis le couvert lors de la réunion hebdomadaire avec la DGCS. Aucune information n'a été donnée sur la prime sauf qu'on se dirige vers un deal entre l'État et les départements, une solution que redoutent les fédérations.
Un décret sur les dotations Covid
Seule annonce réelle lors de cette réunion : la directrice générale de la cohésion sociale, Virginie Lasserre, a indiqué la sortie prochaine d'un décret sur le calcul des dotations Covid. L'objectif est de maintenir les dotations pour que les structures ne soient pas pénalisées par la réduction d'activité pendant deux mois. D'autre part, les fédérations demandent la création d'un fonds de soutien pour redémarrer les activités et compenser l'augmentation des coûts, par exemple en matériel de protection.
Comme on le voit, cette question de la prime traduit le manque de portage politique de ce secteur. Faudra-t-il attendre que l'exécutif règle l'ensemble des autres dossiers pour prêter attention à une activité qui conditionne pourtant la vie de centaines de milliers de familles ?
Et les décès à domicile ?
L'intersyndicale du secteur de l'âge reprend du service après avoir été discrète pendant la période du confinement. Lors d'une conférence de presse, celle-ci (lestée de FO - qui a pris le large - et avec toujours la présence active de l'AD-PA) a réalisé un tour de pistes des différents dossiers. Président de la fédération CGC des médecins salariés, Jean-Paul Zerbib a dénoncé le manque d'information sur les décès Covid à domicile. « Il a fallu attendre plusieurs semaines pour avoir des chiffres des décès en Ehpad. Pourquoi ne disposons-nous pas de données sur cette mortalité à domicile ? C'est encore une discrimination vis-à-vis des âgés. » Grâce à des extrapolations, les médecins salariés se sont arrêtés sur la fourchette 8 000 à 10 000 décès supplémentaires (s'ajoutant aux 27 000 actuels). Le gouvernement a promis que cette donnée sera comptabilisée à partir de juin. « Pourquoi encore attendre ? », demande Jean-Paul Zerbib.
Par ailleurs, l'intersyndicale a réaffirmé l'objectif de création de 237 000 postes ETP d'ici la fin 2020. Cela concerne aussi bien les établissements que l'aide à domicile. Pour les syndicalistes, il n'est pas question d'attendre le vote de la loi Grand âge (dont l'examen pourrait commencer à l'Assemblée en juillet, selon des parlementaires de la majorité) pour renforcer des services dont le Covid a montré qu'ils étaient particulièrement démunis en personnel.