Dans cette tribune libre*, l'Association nationale des maisons d'enfants à caractère social (Anmecs) souhaite réagir à l'avis de la Cour de cassation portant sur la qualification juridique du "placement éducatif à domicile". Elle plaide pour le maintien du dispositif quitte à en faire évoluer le cadre légal.
Dans un avis du 14 février 2024, la Cour de cassation estime que le « placement éducatif à domicile » (PEAD) doit s’analyser comme une mesure d’assistance éducative en milieu ouvert renforcée (AEMO), et non pas comme une mesure de placement.
Dès cet avis, certains départements ont indiqué que les services habilités « placement à domicile » devraient se restructurer en services d’AEMO immédiatement.
Inquiétudes
En premier lieu, l’Anmecs souhaite exprimer les inquiétudes de ses adhérents quant à la portée d’un tel avis dans le contexte actuel de la protection de l’enfance. En effet, notre secteur aux prises avec une crise systémique d’une intensité telle qu’une commission d’enquête parlementaire sur les manquements de la protection de l’enfance a été initiée, ne peut supporter un nouvel élément de déstabilisation de cette ampleur.
Ainsi, le manque de places d’hébergement, l’embolisation des dispositifs de milieu ouvert, le nombre croissant de mesures non exécutées, le recours encore massif à l’hébergement de mineurs à l’hôtel, sont autant de symptômes de la maladie chronique dans laquelle s’enfonce cette politique publique.
Nous voulons alerter sur les risques que comporte la remise en cause trop hâtive des placements éducatifs avec hébergement à domicile. Si nous avons depuis longtemps soulevé l’ambiguïté de la dénomination de ce type de dispositif, il est cependant nécessaire d’en évaluer la portée et la pertinence avant de se priver d’un outil qui semble faire ses preuves.
Le rapport de l’Igas portant sur la démarche de consensus sur l’intervention à domicile en protection de l’enfance ne dit pas autre chose.
Alternative au placement « séparation »
Plusieurs travaux d’étude documentent cette mesure comme une alternative au placement « séparation » s’appuyant sur les compétences de l’enfant et de ses parents, mais également sur une conception d’une intervention suffisamment intensive pour sécuriser le maintien de l’enfant à son domicile.
Si la mesure d’enfant confié en PEAD devait s’interrompre, quels en seraient les conséquences ? Que deviendraient les décisions judiciaires prises pour ordonner ce type de placement ? Dans quelles conditions le relais pourrait-il être pris et par quelles mesures ? De l’AEMO renforcée, des placements avec hébergement ?
Dans un contexte de raréfaction de places d’hébergement et d’embolisation des services d’AEMO, n’y a-t-il pas une menace de rupture de prise en charge et donc d’augmenter les risques de mise en danger ?
Comment les enfants, les jeunes accompagnés, leurs parents, très sollicités dans le cadre des PEAD, vivront ces nouvelles ruptures ?
Quid des professionnels, de leur savoir-faire et des approches cliniques développées depuis de décennies et reconnues par tous ?
Depuis 30 ans, la France a pu développer un espace intermédiaire entre le milieu ouvert et les dispositifs d’hébergement et a déployé une stratégie d’articulation entre prévention et protection que beaucoup de pays européens nous envient aujourd’hui.
Comment maintenir cette approche diversifiée de l’offre, qui est une forme de réponse aux besoins différents des territoires ?
Réponses hybrides
Ainsi pour des raisons cliniques, mais également du fait du cadre légal qui dans le droit français met en tension la mesure d’assistance éducative avec le respect des prérogatives légales des parents, des réponses hybrides ont vu le jour au cours de ces dernières décennies.
Les PEAD sont mobilisées pour des objectifs divers : préparation d’un placement séparation, accompagnement au retour d’un enfant dans son milieu naturel, maintien de l’enfant à son domicile, actions de soutien à la parentalité, ou alternative à l’accueil en collectif pour des mineurs dans l’impossibilité d’accepter un cadre institutionnel.
Ainsi avec leurs potentiels mais également leurs limites, ces dispositifs peuvent répondre de manière proportionnée aux différentes problématiques familiales tout en garantissant une réponse efficiente au besoin de méta-sécurité de l’enfant et sa famille.
Mise à l'abri de l'enfant
Dans le cadre du PEAD, en perspective de l’exercice de la protection active de l’enfant, les stratégies de repli immédiat de l’enfant ou de répit (hébergement séquentiel) sont proposées dans le cadre initial de la décision de placement, y compris au-delà de la limite de 72 heures.
La capacité de mise à l’abri de l’enfant est donc partie intégrante du cadre de prise en charge, du projet pour l’enfant basé sur la notion d’une modularité pragmatique de la suppléance, en fonction d’une évaluation en temps réel du fonctionnement familial.
Dans les différentes approches cliniques, qui ne s’opposent pas pour nous mais qui proposent une complémentarité de l’offre, certains PEAD peuvent déployer des accueils séquentiels qui permettent un accompagnement éducatif pour les enfants et les adolescents parfois en groupe de manière très intensive. Dans ces cas-là, la centration de l’intervention n’est pas uniquement le domicile mais s’articule avec le soutien déployé dans l’environnement familial.
Maintien des PEAD
Enfin, le PEAD développe des actions de soutien à la parentalité supposant des approches croisées (besoins fondamentaux, théorie de l’attachement, approche systémique, psychanalytique) et des méthodologies d’intervention favorisant la prise en compte de la dynamique globale de la famille et proposant nécessairement une clinique « familiale ».
L’intensification de l’intervention, son caractère multimodal suppose des moyens, des taux d’encadrement adaptés, du temps nécessaire à une véritable mobilisation de la famille dans ses capacités de résilience.
Ainsi, l’Anmecs dans sa responsabilité de soutien et d’accompagnement des maisons d’enfants préconise la prudence dans le traitement de la question des PEAD. Nous plaidons pour le maintien de ces dispositifs quitte à faire évoluer le cadre légal qui fonde ces décisions.
À lire également
* Les tribunes libres sont rédigées sous la responsabilité de leurs auteurs et n'engagent pas la rédaction du Media Social.