La fête est finie ! Jusqu'alors assez préservés, les établissements de formation en travail social (EFTS) sont aujourd'hui soumis, à leur tour, aux exigences de performance, tout en étant concurrencés par d'autres acteurs, comme les universités. Dans cette dernière tribune libre* de l'année, Jean-Luc Gautherot, ingénieur social, s'interroge sur leur avenir.
Aurore Bergé, ministre des Solidarités, a annoncé récemment la création d’un Institut national du travail social. On ne connaît pas encore ce que sera le rôle exact de cette nouvelle organisation, dont l’implantation est prévue pour 2024.
Un nouvel élément qui s'ajoute aux changements, déjà en cours, dans le paysage des établissements de formation en travail social (EFTS), établissements dont le futur devient incertain.
Une niche historique confortable
Le monde de la formation en travail social, avec ses 13 diplômes d’État et ses EFTS gérés par des associations à but non lucratif, s’est construit comme une niche jouissant d’une relative autonomie avec de faibles exigences de reporting, des budgets assez stables, pas de concurrence, une pensée dominante construite entre soi, des référentiels de formation assez flous laissant une grande liberté d'interprétation, aucune exigence de formation ad hoc pour les formateurs. Cet « âge d’or » semble bel et bien révolu : « la fête est finie ! »
Le virage rationnel
Le monde des EFTS était jusqu’alors resté assez préservé des effets du « New public management » ; il est aujourd’hui impacté comme tout le monde. La certification Qualiopi oblige ces derniers à déployer des pratiques de traçabilité qu’ils n'avaient pas connues jusqu’alors…
Les régions, principaux financeurs des EFTS, avaient jusqu'à présent été assez « light » dans leur exigence de reporting. Comme pour les ESSMS soumis aux indicateurs de l’Anap ou aux rapports annuels de performance de l’État, les EFTS doivent aujourd’hui justifier l’effectivité du parcours de chaque étudiant pour être payés, et ce via une application en ligne.
Dans la logique de tarification à l’acte, une tarification au parcours pourrait finir par être mise en place : pas de paiement des abandons de formation et des allègements.
Les exigences de reporting numérisé ont également explosé du côté des Opco (opérateurs de compétences) qui demandent aujourd’hui un enregistrement du suivi de chaque étudiant sur leur plateforme en ligne, avec justificatifs signés en complément.
Ces contraintes obligent les EFTS à se doter de nouvelles compétences devenues indispensables : animateurs qualité, gestionnaires SI.
La concurrence des universités
Les universités françaises jouent aujourd’hui sur le terrain de la formation initiale, historiquement réservée aux EFTS. Les bachelors universitaires de technologie (BUT) proposent des cursus qui s'apparentent de très près aux formations préparant aux diplômes du travail social : BUT assistance sociale, BUT éducation spécialisée.
En cette période de pénurie de candidats aux postes vacants, un employeur en difficulté considérera probablement qu’un professionnel sortant d’un BUT vaut autant qu’un professionnel formé à un diplôme d’État.
Les universités sont également actives sur le marché de la formation continue avec des DU de spécialisation, comme celui de coordinateur de parcours complexe, ou avec des executive masters de gestion des ESSMS qui viennent concurrencer les formations Caferuis et Cafdes.
L’attribution du grade licence pour les formations de niveau master oblige aujourd’hui les EFTS à passer une convention avec une université qui garantit en quelque sorte le niveau licence des formations. Avec ce système, les EFTS sont devenus dépendants des universités : pas de grade licence sans convention.
Le livre blanc du travail social ressort des tiroirs le vieux projet de création d’une nouvelle discipline scientifique : les sciences du travail social, la création d’un doctorat en travail social irait de pair. Un nouvel objet de concurrence entre les EFTS et les universités.
La concurrence des centres de formation des associations gestionnaires
De plus en plus d’associations gestionnaires créent leur propre centre de formation interne.
Les formations continues, qui étaient jusqu’alors dispensées par les EFTS à la demande des associations gestionnaires, sont maintenant produites par ces dernières. Ce qui leur permet un meilleur contrôle sur les contenus de formation, un retour des dépenses dans les caisses de l’organisation, et parfois le développement d’un travail de recherche également en interne.
On pourrait voir demain des associations gestionnaires de grande taille qui gèrent un centre de formation, demander des agréments pour préparer aux diplômes d’État notamment pour leurs apprentis. Un cap serait alors franchi dans la concurrence directe avec les EFTS.
La numérisation des formations
Avec la crise sanitaire, la transformation des formations présentielles en formations à distance s’est accélérée. Ce mouvement touche l’intégralité du monde de la formation professionnelle et pas seulement le travail social. Suivre une formation intégralement à distance est devenu monnaie courante. De nombreux DU fonctionnent sur ce modèle.
Les référentiels nationaux des diplômes du travail social n'exigent pour l'instant aucunement d’intégrer de la formation à distance dans les cursus. En revanche, c’est maintenant souvent le cas dans les cahiers des charges des appels à projets pour des formations continues. Les EFTS sont contraints de s’engager dans cette transformation des pratiques pour ne pas perdre l’avantage concurrentiel.
La crise d’attractivité
La baisse du nombre des candidats aux formations du travail social n’est pas une nouveauté, elle était engagée bien avant la crise d'attractivité des métiers d'aujourd'hui, et de nombreux EFTS avaient déjà dû baisser leur niveau d’exigence pour remplir leurs effectifs.
Le fait est là, les jeunes générations ne semblent plus être intéressées par les diplômes d’État en travail social, et le nombre des abandons en cours de formation est en augmentation. Dans ce tableau peu réjouissant, l'augmentation du nombre d’apprentis et du nombre de diplômés en 2022, est une lueur d’espoir, mais pas suffisante pour régler le problème sur le fond.
Une série de causes potentielles reviennent dans les débats : une architecture trop compliquée avec trop de diplômes, des formations trop longues, un manque de communication sur les formations, des formateurs qui ne sont pas des enseignants, le sens même de ces formations qui aurait disparu.
Au terme de la lecture de cette chronique, vous devez vous dire que l’avenir est bien obscur pour les EFTS. Nombre de ces établissements sont déjà en crise. Ils font face à un endettement insoutenable ou à de graves conflits internes probablement parce qu’ils n’ont pas su anticiper les changements que je viens de lister.
À l'inverse, d'autres établissements se portent plutôt bien parce qu’ils ont compris que l’âge d’or était fini et qu’une stratégie proactive était indispensable pour s’adapter aux changements de leur environnement qu’ils ne peuvent pas arrêter. La sélection darwinienne fait son office.
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