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Interview16 avril 2020
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Revenu de base, masques... les vérités du patron de la Gironde

Et si, en prévision des dégâts du coronavirus, on mettait en place un revenu de base ? Pourquoi un département commande plus de deux millions de masques ? Pourquoi tant d'initiatives fleurissent ? Les réponses de Jean-Luc Gleyze, président du conseil départemental de Gironde.

Double actualité chargée pour le chef de la Gironde ! Ce week-end, il publie avec dix-huit autres présidents socialistes de conseils départementaux une tribune dans le JDD intitulée « Revenu de base : une solution solidaire à la crise du covid-19 ». Ces jours-ci, il réceptionne dans son département une commande de plus d'un million de masques destinés prioritairement aux Ehpad et services à domicile de Gironde. Il annonce par ailleurs avoir lancé une grosse commande auprès des entreprises du département qui devront fournir pour le 11 mai des masques en tissu pour la population. Entre deux interviews et des visites sur le terrain, Jean-Luc Gleyze s'exprime pour Le Media social.

Monsieur le président, pourquoi avez-vous souhaité remettre sur le tapis cette proposition de revenu de base qui avait été retoquée l'an dernier à l'Assemblée nationale ?

Jean-Luc GleyzeL'ensemble des présidents de gauche qui ont signé cette tribune partage un certain nombre de constats. Le RSA produit des effets faibles contre la pauvreté et en outre, ce revenu n'est pas perçu par un tas de personnes qui pourraient en bénéficier. Voilà pourquoi nous avons proposé d'expérimenter dans nos départements un revenu de base. 

Dans votre tribune, vous écrivez : « La priorité est d’assurer à tous ceux qui en ont besoin, un soutien monétaire et un accompagnement social pour faire face à cette crise inédite ». Que constatez-vous sur le terrain ?

 J.-L. G.Dans mon département, je constate que la précarité s'accroît et va s'accroître encore. De nouvelles catégories de population se trouvent en grande difficulté : les autoentrepreneurs qui ont souvent souscrit un emprunt me disent qu'ils ne pourront pas tenir plus de trois mois. Les entreprises touristiques se retrouvent sans rentrées financières. Des entrepreneurs se demandent comment ils pourront payer le report de charges dans six mois. Les jeunes sont également très inquiets : quel est l'avenir qui se profile pour moi ? 

Quelles sont les valeurs fortes que vous décelez dans la période inédite que nous vivons ?

J.-L. G.Je constate que trois valeurs fondamentales font leur chemin : la solidarité, la proximité et les services publics. Voilà pourquoi entre présidents de département, nous nous sommes recontactés pour remettre au centre du débat cette question du revenu de base. Nous écrivons : « Comme l’a justement dit le président de la République le 12 mars dernier, des décisions de rupture sont aujourd’hui nécessaires. » Nous estimons que le constat des graves limites de la protection sociale doit permettre d'engager un grand débat qui transcende les clivages politiques. 

Sauf que par rapport à début 2019 où vous présentiez le revenu de base, les choses ont évolué. Le Revenu universel d'activité semble se préciser...

 J.-L. G.Le RUA ? Mais à part une réunion de lancement conduite par Olivier Noblecourt, nous n'avons rien vu. Les élus ne sont pas associés à la réflexion. Et sur le fond, nous sommes en désaccord sur plusieurs points. Nous ne souhaitons pas inclure les aides concernant le handicap comme souhaitait le faire le gouvernement. Par ailleurs, nous militons pour une aide inconditionnelle et automatique, ce que ne semble pas prévoir le RUA. Mais il est vrai que le changement de discours d'Emmanuel Macron nous ouvre le champ des possibles.

Dans votre texte, vous dites en conclusion : « Une fois sortis de l'état de guerre, nous devrons préparer activement la résilience de notre société. » Que voulez-vous dire exactement ?

 J.-L. G.Avec la crise du covid-19, nous touchons du doigt le risque d'effondrement de notre société. Notre mode de vie est totalement bousculé. Il nous faut travailler sur des stratégies de résilience. Au niveau du département de la Gironde, nous avons décidé de travailler dans cette optique. N'oublions pas que les premiers touchés par la crise sont déjà les plus fragiles, les SDF, les personnes âgées, les personnes handicapées, les petites entreprises...

Arrêtons-nous sur un dossier très concret : les masques. Pourquoi la Gironde s'est-elle engagée dans une commande massive ?

J.-L. G.Au niveau du département, nous nous sommes réorganisés pour assurer la continuité des services. Une cellule de crise se réunit trois fois par semaine. Or qu'avons-nous constaté ? Nombre de nos partenaires sont en grande difficulté par rapport à la fourniture de masques. Cela concerne les Ehpad, l'aide à domicile, les familles d'accueil, l'aide alimentaire, les collèges (pour ceux qui gardent des enfants de soignants). Je rappelle que la fourniture des masques est de la responsabilité du ministère de la Santé.

Et pourtant, vous avez commandé des tonnes de masques...

Distribution de masques pour une structure d'aide à domicile DR

J.-L. G.Nous constatons que l'État n'est pas à la hauteur. Alors, nous nous sommes tournés vers des intermédiaires qui travaillent avec la Chine à un moment où les usines recommençaient à travailler. Et cela a marché. Nous avons pu passer une commande de 2,6 millions de masques chirurgicaux. À ce jour, 1,6 million est arrivé dans la Gironde dont un million le 15 avril. Nous avions passé un accord avec l'ARS : elle devait distribuer 80 % de ces masques vers les professionnels du médico-social (Ehpad, structures pour personnes handicapées, aide à domicile) et le département s'occupait des 20 % restants pour les travailleurs sociaux. Et bien, je constate que l'État n'est pas en capacité de distribuer tous ces masques... En tout cas, cela m'interroge : comment un département qui n'a pas de pont aérien peut-il avoir plus vite que l'État du matériel de protection ? Je précise que le coût de cette opération (1 million d'euros) est à la charge du département...

Mais vous ne vous arrêtez pas là ?

J.-L. G.Non, nous nous occupons également de la sortie du confinement, à l'après 11 mai. Nous avons commandé à des entreprises locales la fabrication d'un million de masques en tissu lavables pour la population. Pourquoi fait-on à la place de l'État, me direz-vous ? Tout simplement parce qu’au regard de ce qui se passe depuis un mois, nous doutons que l'État fournisse un masque à tout le monde.

Finissons par une note positive. La crise sanitaire a été l'occasion pour les acteurs locaux, notamment les départements, de lancer ou de prolonger des initiatives dans tous les domaines. Qu'en a-t-il été en Gironde (1) ?

J.-L. G.Les initiatives sont innombrables. Avec la chambre d'agriculture, nous avons monté une plateforme de Drive fermier. Cela permet de donner du travail aux agriculteurs, notamment les primeurs et les arboriculteurs qui ont perdu le marché des restaurateurs, mais aussi d'éviter d'aller trop souvent aux supermarchés. Nous avons demandé aux travailleurs sociaux de devenir les distributeurs de masques sur le territoire. Des musiciens interviennent dans les Ehpad. Pour les Mecs, un appel au bénévolat parmi les personnels des Itep (fermés) a permis de trouver 270 personnes. Mais je pourrais vous citer tant d'autres initiatives.

Et en termes d'organisation interne, peut-on relever des enseignements ?

  J.-L. G.De façon plus générale, je constate ce que j'avais relevé lors de deux tempêtes (j'étais alors directeur général des services en mairie) : le meilleur côtoie le pire. En l'occurrence, des élans de solidarités formidables, des engagements remarquables se mêlent à des actes d'égoïsme, à des incivilités comme les vols de masques. Au niveau du département qui compte 6 400 agents, j'ai constaté que nous sommes capables de changer nos pratiques. Le télétravail était l'objet de résistances internes. Là, depuis un mois, il est pratiqué par 80 % des agents du département.

(1) L'Assemblée des départements de France a recensé de nombreux exemples d'initiatives au temps du coronavirus (voir le site de l'ADF)

Propos recueillis par NoëlBOUTTIER
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