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Les personnes accompagnées, partenaires de la formation

Longs FormatsFlore MABILLEAU01 avril 2019
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En complément des savoirs académiques et pratiques, la formation des travailleurs sociaux doit désormais s’enrichir de savoirs expérientiels, délivrés par des personnes accompagnées. Ce chantier qui s’amorce interroge les pratiques des formateurs et des professionnels, ainsi que leur positionnement vis-à-vis des personnes qu’ils accompagnent.

C'est une révolution lente mais profonde, officialisée par décret depuis le 6 mai 2017. « Le travail social (…) s’appuie (…) sur des savoirs universitaires en sciences sociales et humaines, sur les savoirs pratiques et théoriques des professionnels du travail social et sur les savoirs issus de l’expérience des personnes bénéficiant d’un accompagnement », indique désormais le code de l’action sociale et des familles.

En conséquence, les personnes accompagnées ou personnes-ressources concernées – une dénomination préférée à celle d’usager – doivent participer à la formation des intervenants sociaux.

Un guide sur les pratiques 

L’Union nationale des acteurs de formation et de recherche en intervention sociale (Unaforis) a donc logiquement décidé d’en faire un axe prioritaire de travail, éditant en septembre 2018 un guide présentant une communauté de pratiques sur ce sujet (1).

Chloé Altwegg-Boussac, responsable développement à l'Unaforis DR

« Notre volonté est d’accélérer le mouvement, martèle Chloé Altwegg-Boussac, responsable développement à l’Unaforis.

De nombreux projets ont déjà été menés, sous des formes différentes, mais il demeure une certaine méconnaissance du sujet par les centres de formation.

Nous voulons montrer ce qui se fait déjà dans les établissements de travail social en France et en Europe. »

Coformation et coélaboration

Selon les projets, les personnes-ressources peuvent intervenir à plusieurs niveaux : dans la préparation des formations, dans la définition des thématiques abordées, dans des ateliers, dans la restitution des savoirs, tout comme dans des projets de recherche.

Le mouvement s'accélère dans les écoles

Isabelle Léomant, Uniopss

Isabelle Léomant, conseillère technique à l'Uniopss DR

« Le mouvement s’accélère dans les écoles, grâce aux expérimentations et aux éléments de méthodologie qui se précisent (une préparation en amont, la rémunération des personnes concernées, l’adaptation à leurs besoins, etc.) » , observe Isabelle Léomant, conseillère technique “accompagnements, acteurs et parcours” à l’Uniopss.

Mais, prend-t-elle soin d'ajouter : « il ne faut pas modéliser : chaque institution doit pouvoir inventer la participation avec les personnes elles-mêmes, en coopération. »

Des modules de formation co-construits

Des exemples ? Le Collectif Soif de connaissances (lire ci-dessous) propose aux apprentis assistants de service social (ASS) des modules de formation – sur la précarité ou les bidonvilles – coconstruits et co-animés par des professionnels du travail social, des chercheurs, des formateurs et des personnes-ressources concernées.

Précurseure sur le sujet, l’association ATD Quart Monde a de son côté animé, depuis le début des années 2000, une centaine de coformations rassemblant des animateurs/formateurs, des personnes-ressources et des professionnels apprenants, durant 4 à 5 jours, autour d’une méthode pédagogique : celle du « croisement des savoirs et des pratiques ».

L’association ATD Quart Monde anime depuis le début des années 2000 des coformations construites autour d’une méthode pédagogique : celle du « croisement des savoirs et des pratiques ». ATD Quart Monde

« Toute cette démarche est basée sur le fait que les personnes travaillent à partir de leur propre expérience, de situations concrètes rencontrées dans leur cursus professionnel ou, pour les personnes en situation de pauvreté, dans une interaction avec un ou des professionnels, détaille Pascale Budin, animatrice de ces coformations.

Cette méthode permet de faire dialoguer les personnes, les amène à confronter leurs points de vue, à prendre du recul pour aller vers une amélioration des pratiques professionnelles et une meilleure compréhension mutuelle. »

Une ambition partagée par Unaforis. « Cela permet d’être dans une démarche de transformation sociale, de faire évoluer les représentations réciproques et de soutenir le pouvoir d’agir de l’ensemble des parties prenantes », résume Chloé Altwegg-Boussac.

Redonner de l’estime de soi

Dès 2015, l’Institut régional du travail social (IRTS) des Hauts-de-France a inscrit dans son projet stratégique et politique sa volonté de faire participer des personnes concernées à la formation des futurs travailleurs sociaux.

« Cela correspond à nos valeurs d’humanisme, analyse le directeur Bertrand Coppin. Et puis la coconstruction, la co-intervention et la co-évaluation permettent de développer le travail de réseau et l’efficience pédagogique, en contribuant à redonner du pouvoir et aussi de l’estime de soi à des personnes qui l’ont un peu perdue. »

Difficile par ailleurs d’insuffler de la participation dans les établissements et services sociaux ou médicosociaux, comme l’exige la loi 2002-2, si les professionnels n’ont pas eux-mêmes appris à le faire en formation.

Des savoirs encore peu reconnus

Mais la participation des personnes accompagnées à la formation des travailleurs sociaux interroge les pratiques et les conceptions traditionnelles du savoir. Aux côtés des savoirs théoriques et professionnels, ceux de l’expérience s’imposent doucement.

Philippe Lebailly, directeur pédagogique du CRFMS Erasme, à Toulouse DR