Depuis mi-mars, les associations se sont mobilisées pour mettre à l'abri des milliers de SDF. Le déconfinement ne peut être la fin des dispositifs exceptionnels. Des pratiques nouvelles sont nées de l'urgence. Peuvent-elles inspirer les politiques publiques ?
Voici un mois, sur notre site, Bruno Morel, le directeur général de l'association Emmaüs solidarité, nous racontait la difficile mise en place du confinement. Comment faire tourner des services indispensables pour les SDF ? Avec quel personnel ? Comment respecter les différents gestes barrière ? Il racontait que l'Agora, lieu d'accueil de jour au centre de Paris emblématique de l'association de l'Abbé Pierre, n'avait qu'un salarié sur les six habituels pour fonctionner...
Accompagnement à la vie quotidienne
Quelques semaines plus tard, le fonctionnement semble plus rodé. « À l'Agora que fréquentent une centaine de personnes par jour, nous distribuons des produits comme le café à l'extérieur et nous faisons respecter les gestes barrières », se félicite le DG d'Emmaüs. Avec un bon tiers de salariés absents, l'association s'est réorganisée. Les services ont tous été maintenus dans une version allégée. Ici, par exemple, on a supprimé toutes les animations, mais maintenu une partie des accompagnements administratifs. « On se recentre sur l'accompagnement à la vie quotidienne », explique Bruno Morel.
Détresse psychique
L'association, comme tant d'autres, s'est aperçue que la détresse psychique se développe à vitesse grand V. Une collaboration avec des thérapeutes a permis de mettre en place une plateforme d'écoute joliment baptisée « Co'vies 2020 ». Résidents et personnels peuvent appeler. Le font-ils ? « On s'est aperçu que les gens ne vont pas spontanément appeler. Voilà pourquoi nous travaillons sur la possibilité d'aller vers les gens », poursuit le directeur.
Montée de la faim
Quels ont été les dégâts du coronavirus ? Sur environ 5 000 personnes accompagnées, 75 cas ont été suspectés et 17 hospitalisations ont été effectuées. Pour l'instant, l'association Emmaüs n'a que deux décès à déplorer. Ce qui l'inquiète pour aujourd'hui et demain, c'est la montée de la faim des publics accompagnés (la Fondation Abbé Pierre a permis de financer 75 000 tickets alimentaires de 10 € - lire encadré), mais aussi chez ceux qui ont leur logement. « Ces personnes qui vivaient de l'intérim et de petits boulots, et qui bénéficiaient d'une cantine quasi gratuite pour les enfants se retrouvent sans revenu. »
Manque toujours de matériel de protection
Cette observation, Florent Guéguen, directeur de la Fédération des acteurs de la solidarité, la reprend à son compte. « Au début, l'aide alimentaire concernait seulement les SDF, observe-t-il. Maintenant, la demande d'aide alimentaire concerne des ménages modestes, parfois monoparentaux. Il va falloir tenir dans la durée, bien au-delà du 11 mai. » (lire notre article sur les mesures gouvernementales). Pour les associations, il faut enfin obtenir du matériel de protection en quantité suffisante. « Actuellement, analyse Florent Guéguen, les structures se débrouillent en commandant des masques en tissu, en récupérant du matériel auprès des collectivités locales. L'État donne des masques au compte-gouttes. »
En termes de méthodes de travail avec le ministère, le responsable associatif affiche une certaine satisfaction. Deux fois par semaine, une audioconférence réunit les principales associations et le ministère. « C'est une sorte cellule de crise », résume Florent Guéguen. Ces échanges ont permis d'arracher des avancées. Cela a d'abord été la prolongation de la trêve hivernale jusqu'au 31 mai.
Maintenir la trêve hivernale
Pour le Collectif des associations unies pour une nouvelle politique du logement, dont Florent Guéguen est l'un des porte-parole, pas question de se contenter de cela ! Comment imaginer que des personnes fragiles hébergées depuis des mois retrouvent la rue dès juin ? Le collectif qui a rédigé un document sur les « oubliés du confinement » compte demander le maintien de la trêve des expulsions et des hébergements exceptionnels jusqu'en novembre, date du début de la prochaine trêve hivernale. Il milite également pour la création d'un fonds d'urgence pour prendre en charge les loyers des familles modestes.
Conditions de vie en hôtel
Pendant cette période, l'État a ouvert 9 000 places d'hôtel qui se rajoutent aux 50 000 existantes. Les associations ont tout à fait compris cette décision, mais ne veulent pas qu'elle se prolonge trop longtemps car les conditions de vie sont souvent précaires (chambres de deux ou trois personnes). Manuel Domergue, directeur des études à la Fondation Abbé Pierre, résume la situation : « Soit on remet les gens à la rue, ce qui serait catastrophique, soit on les maintient à l'hôtel avec tous les problèmes que ça pose, soit enfin, on prépare à l'entrée dans un logement. »
Remettre en route les instances du logement
Le fait que les populations sont réunies et non pas dispersées dans la nature, selon Manuel Domergue, doit être mis à profit pour travailler avec eux, sur une entrée dans un logement ou sur une régularisation. Pour que des entrées en logement aient lieu, il faut, estime Florent Guéguen, que les instances du logement se remettent à fonctionner, ce qui n'est plus le cas depuis le début du confinement. De même, l'examen des demandes de droit d'asile doit reprendre, comme l'ont exigé des juges.
Équipes sanitaires positives
Maintenant que la perspective d'un déconfinement progressif se précise, le secteur associatif espère cristalliser sur les avancées de la période de confinement. Par exemple, des équipes mobiles sanitaires se sont constituées pour aider à déceler les cas suspects et mettre en place les mesures nécessaires, notamment les tests. « Ces équipes sanitaires constituent une vraie plus-value pour les équipes. Il faut les pérenniser après le coronavirus pour travailler sur le dépistage sanitaire dans les camps, les bidonvilles. »
Transformer les centres Covid
Et quid des centres Covid qui ont été mis en place en mars pour accueillir les personnes hébergées présentant des symptômes ? Actuellement, il existe 80 centres : ceux qui sont occupés (certaines régions ne présentent pas de cas) le sont à 30 % - 40 %. « Il est important de les garder ouverts tant que l'épidémie est présente. Ensuite, nous proposons de les transformer en centres d'hébergement médicalisé - LHSS ou LAM (1) », suggère le directeur de la Fédération des acteurs de la solidarité. « En fait, poursuit-il, la crise sanitaire a généré des expériences salutaires de rapprochement entre le social et le sanitaire. Continuons sur cette lancée ! »
(1) Lits halte soins santé et lits d'accueil médicalisé.
Pour la première fois en 70 ans, Emmaüs fait un appel aux dons
Cela n'était pas arrivé depuis 1954 et l'appel au secours de l'Abbé Pierre. Emmaüs France qui regroupe toute la galaxie Emmaüs a lancé voici quelques jours un appel à la mobilisation financière sous le titre « Ne les laissons pas retourner à la rue ». Explications de Jean-François Maruszyczak : « Les communautés Emmaüs et les chantiers d'insertion - en tout, 210 structures sur 289 membres d'Emmaüs France - n'ont plus aucune activité. Nous avons activé les mesures de chômage technique pour nos salariés, mais elles ne concernent pas les compagnons qui ont le statut de travailleurs solidaires. »
Emmaüs France s'est donc résolu à lancer une opération de solidarité. Objectif : 5 millions d'euros. Cela commence bien : au bout de quelques jours, deux millions avaient été réunis.
Toujours dans la galaxie Emmaüs, la Fondation Abbé Pierre poursuit sa mobilisation pour financer des chèques pour les mal-logés. « Dans un premier temps, explique Yves Colin, nous avons lancé un appel pour financer des tickets alimentaires. 75 000 ont pu être distribués dans nos lieux d'accueil, dans les structures d'Emmaüs. Dans un second temps, nous avons lancé un second appel plus large pour financer des kits d'hygiène, des mises à l'abri. » La star du football Kylian Mbappé fait partie des donateurs, avec un gros chèque, dit-on.
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