Dans une tribune pour Le Media Social, l'ancien député Laurent Grandguillaume, président de Territoires zéro chômeur de longue durée, revient sur cette expérimentation qui cherche à donner plus de pouvoir aux personnes et aux territoires afin d'agir sur les conditions sociales, économiques et écologiques.
L'expérimentation "Territoires zéro chômeur de longue durée" est une idée née dans la société civile, accompagnée dans son émergence par les pouvoirs publics et le Parlement avec une loi votée à l’unanimité, et aujourd'hui transformée dans les territoires. C'est un projet qui s'inscrit pleinement dans l'empowerment, c’est-à-dire dans l’objectif de donner plus de pouvoir aux personnes et aux territoires pour agir sur les conditions sociales, économiques et écologiques. Il ne s’agit donc pas de faire « pour » mais bien de faire « avec ».
Un espace de libertés et de participation
C’est d’ailleurs plus qu’un projet, c’est un trajet au sens où l’expérimentation porte en elle la mobilisation de plus en plus de personnes et de territoires à travers une forme de pollinisation dans les territoires, il y a un effet cumulatif. Ce n’est pas un « dispositif » au sens où il n’est pas prescrit de manière descendante avec un cadre national figé dans lequel devraient s’inscrire les acteurs. C’est un espace de libertés et de participation.
Les fondements du projet sont simples et sont au nombre de trois :
- Personne n’est inemployable : Toutes celles et tous ceux qui sont durablement privés d’emploi ont des savoir-faire et des compétences qu’ils développent, à condition que le travail et l’emploi soient adaptés à chacun.
- Ce n’est pas le travail qui manque : C’est l’emploi, puisque de nombreux besoins de la société ne sont pas satisfaits.
- Ce n’est pas l’argent qui manque : Puisque chaque année le chômage de longue durée entraîne de nombreuses dépenses et manques à gagner que la collectivité prend à sa charge (plus de 40 milliards d’euros soit 18.000 euros par an et par personne).
Des personnes privées d'emploi depuis 53 mois en moyenne
Dans les dix premiers territoires, près de 850 personnes ont déjà été embauchées en deux ans en CDI, à temps choisi, sur des activités qui reposent sur la transition écologique et énergétique, l’économie circulaire, la sécurité alimentaire et l’économie de proximité. Les personnes embauchées dans les entreprises créées dans les dix territoires étaient privées d’emploi depuis en moyenne 53 mois.
Activer les dépenses passives
Les entreprises créées dans les dix territoires d’expérimentation bénéficient de l'activation des dépenses passives (coût du chômage) pour développer des activités n'entrant en concurrence avec personne. Cette activation des dépenses passives est gérée par un fonds d’expérimentation. L’activation est au départ de 18 000 euros par an et par personne. Le chiffre d’affaires développé la première année est de 3 000 à 4 000 euros par équivalent temps plein selon les entreprises.
Le problème des fonds propres
L’expérimentation a démontré que le besoin de financement que l’on peut calculer par emploi est d’environ 27 000 euros par an et par personne. Cela démontre que le besoin de fonds propres est de près de 5 000 euros la première année, fonds propres qu’il a été difficile de mobiliser par les circuits financiers traditionnels. C’est un des sujets à régler pour la seconde étape. Le chiffre d’affaires continue progressivement sa croissance ce qui est encourageant pour la suite de l’expérimentation et pour la construction d’un modèle économique durable.
Si dix territoires expérimentent actuellement en France, pour une durée de cinq ans, ils sont près de 200 aujourd’hui à se préparer pour une deuxième étape, avec un comité de soutien parlementaire composé de 190 parlementaires.
Préparer le passage à l'échelle
L’enjeu qui est aujourd’hui devant nous est triple : réussir dans les dix territoires en capitalisant l’expérience et en corrigeant les points de fragilité, mobiliser les marges c’est-à-dire en particulier les personnes qui ne sont pas encore volontaires pour s’inscrire dans le projet à travers la recherche de l’exhaustivité, et préparer le passage à l’échelle avec de nombreux territoires.
Il ne s’agit pas de prouver qu’il existe une entreprise idéale dans le meilleur des mondes possibles, mais bien de démontrer qu’il est possible d’éradiquer le chômage de longue durée dans des territoires mobilisés.
La société civile a toujours été mise de côté
C'est souvent dans le passage à l'échelle que l'on rate la marche pour les innovations économiques et sociales. Nous avons hélas peu d'exemples de réussite en France car la société civile a toujours été mise de côté pour laisser les administrations centrales « passer aux choses sérieuses ». Or, nous avons besoin d’un Etat facilitateur bien plus que d’un Etat prescripteur. Le passage à l’échelle de l’expérimentation « Territoires zéro chômeur de longue durée » ne pourra fonctionner que par la mobilisation de la société civile, et donc des territoires.
Rassembler les conditions de réussite
Le projet repose par nature sur une mobilisation de territoires volontaires. Comme pour tous les projets, nous connaissons les meilleures façons d'échouer : créer une usine à gaz pour traiter le passage à l'échelle (une nouvelle bureaucratie ou une nouvelle agence), passer de la culture du "co-" (co-construire, co-produire, ...) à la culture des "egos", se consacrer au "qui ?" plutôt que de se consacrer au "faire" (makers)...
Le plus important c’est de rassembler les conditions de réussite et elles avaient été dressées dès le départ par le Conseil économique, social et environnemental (Cese) en 2016.
Faire émerger une géographie de l'adhésion
Les échanges avec certains acteurs américains comme Bill Wilson à l'Université de Harvard ont pu nous éclairer sur la méthode. Il est ainsi très important de comprendre pourquoi certaines personnes refusent d'entrer dans l'expérimentation ou pourquoi certains territoires ne se mobilisent pas. C'est l'analyse des marges - des "ignorés" du projet, de la géographie de la colère pour mieux comprendre comment faire émerger une géographie de l'adhésion.
Expérimenter une utopie réaliste
Groupe de réflexion sur la capitalisation, centre de développement et de formation soutenu par l’Union européenne, évolutivité et scalabilité des outils, outils de financements innovants (contrats d'apport associatif, crowdfunding, …), innovations RH (mécénat de compétences, …), lieu de partage du projet (grappes régionales) et de transferts des compétences dans les territoires, ... l'ensemble de ces éléments vont concourir à la chaîne de transformation du projet pour que demain, 50, 100... nouveaux territoires puissent expérimenter cette utopie réaliste, et que cela devienne un droit d'expérimentation pour tous les territoires volontaires.
Obtenir un calendrier clair sur la deuxième loi
La plus grande force du projet c'est qu'il n'appartient à personne en particulier, à part à ceux qui le réalisent dans les territoires. Ce sont les "makers". Ce sont les artisans de sa réussite. On ne peut pas éradiquer le chômage de longue durée par les mots, mais bien par la transformation dans les territoires, par le "faire".
Cette méthodologie du passage à l'échelle, qui est en train de se construire, pourra servir à la réussite d'autres projets, c'est tout l'enjeu de migration. Nous testons, prenons des risques, parfois dans des interactions très complexes, mais nous avançons vite et bien !
Il reste maintenant à obtenir un calendrier clair sur la deuxième loi qui autorisera de nouveaux territoires à expérimenter. Et si « Territoires zéro chômeur de longue durée » permettait de passer d’une ère de la prescription nationale à une ère des émergences territoriales dans le cadre de la solidarité nationale ?
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