En France, c’est à l’échelle départementale que les secteurs de l’action sociale ont été historiquement structurés. Les tentatives de construire des services territoriaux intégrés (communautés 360, SIAO…), à l'échelle du bassin de vie, font face à des résistances, analyse Jean-Luc Gautherot, ingénieur social, dans cette tribune libre*.
Depuis plusieurs années, la France tente de copier le modèle du réseau de services intégrés québécois : une organisation unique qui gère toute l’action sociale à l’échelle d’un territoire de proximité. La greffe a du mal à prendre, l’échelle départementale reste la référence.
Consensus pour la structure locale intégrée
En 2015, le Québec a découpé son territoire en bassins de vie et a créé un centre intégré de santé et de services sociaux (Cisss) par zone. Un réseau de services intégrés est une organisation de plusieurs milliers de salariés qui dépend de l’État et qui gère toute l’action sanitaire et sociale pour la population du bassin de vie.
Un consensus mondial semble s’être imposé depuis le début des années 2000, qui considère que la structure territoriale intégrée à la québécoise est plus efficace et efficiente que la structure catégorielle à la française qui découpe des catégories de publics pour en confier la responsabilité à différents ministères et à différentes autorités de tutelles locales.
Dans la foulée de ce mouvement, la France tente donc de passer d’une structure catégorielle historique à une structure territoriale intégrée. Ce qui nécessite d’institutionnaliser des territoires infradépartementaux, bref à découper les départements en bassins de vie pour implanter un réseau de services intégrés par zone.
Via l’exemple des communautés 360 du secteur du handicap et des SIAO du secteur hébergement-logement, voyons comment l’échelle départementale historique résiste et empêche la création de véritables réseaux de services intégrés de proximité.
Communautés 360 du secteur du handicap
En février 2020, lors de la Conférence nationale du handicap, le président de la République annonçait la création de 400 « communautés 360 » d’ici 2022. Un document du secrétariat d’État auprès des Personnes handicapées de 2020 précisait : « le bassin de vie devient le 1er échelon de l’action publique dans le champ du handicap… La coopération entre tous les acteurs est suscitée dès la première demande d’accompagnement, avant même la survenue des situations critiques ».
Le projet initial se rapprochait bien de l’esprit du réseau de services intégrés. Pour le mettre en œuvre, il aurait donc fallu découper les 101 départements en 400 territoires de proximité à l’échelle des bassins de vie et réformer l’orientation, qui n’aurait plus été gérée par les MDPH à l'échelle du département mais par les acteurs des communautés « dès la première demande ».
Le cahier des charges, élaboré en 2021 par la Direction interministérielle de la transformation publique, enterre le projet. Le texte indique que la communauté peut fonctionner à l’échelle du département ou à l’échelle infradépartementale, et que la gouvernance doit fonctionner à l'échelle du département et pas à l'échelle du bassin de vie.
Résultat : aujourd’hui la plupart des communautés 360 fonctionnent à l'échelle du département, et non pas dès la première demande – comme prévu – mais après le traitement de la demande par la MDPH. Adieu les 400 communautés sur le modèle du réseau de services intégrés annoncées par le président de la République.
Les SIAO
Les services intégrés de l’accueil et de l’orientation (SIAO) du secteur hébergement-logement, ont été créés en 2010 pour intégrer, comme leur nom l’indique, dans une organisation unique, les acteurs de ce secteur sur un territoire de proximité, dans le but de faciliter l’accès au logement.
À l’origine plusieurs SIAO se sont créés dans chaque département, à l’échelle des bassins de vie, où dans des zones où les acteurs locaux avaient déjà développé des habitudes de coopérations. En 2014, la loi « Alur » met un terme aux territoires de proximité, il ne doit exister qu’un SIAO par département. Adieu l’esprit du réseau de services intégrés à l’échelle locale.
Le contre-exemple des DAC
Les dispositifs d'appui à la coordination (DAC) sont nés de la fusion des Maia, Paerpa, Clic et PTA pour organiser la coordination essentiellement des acteurs intervenant auprès des personnes âgées sur un territoire de proximité. Il s’agit du seul exemple abouti de couverture de toute la France par des territoires infradépartementaux en matière d’action sociale.
Résistance historique de l’échelle départementale
C’est à l’échelle départementale que les secteurs de l’action sociale ont été historiquement structurés. En protection de l’enfance, les orientations se décident via l’ASE à l’échelle du département, idem avec la MDPH pour le secteur du handicap.
La DEETS (direction de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités) construit l’offre d'hébergement à cette échelle via le PDALHPD (plan départemental d'action pour le logement et l'hébergement des personnes défavorisées), le conseil départemental fait de même avec les schémas de son ressort.
Les appels à projets sont lancés à l’échelle du département. Les instances de gouvernance fonctionnent également à cette échelle. Enfin, la réglementation désigne le département comme chez de file de l’action sociale.
Créer des territoires infradépartementaux et autant de réseaux de services intégrés où se joueraient les orientations, les financements, l’évolution de l’offre et la gouvernance représente une révolution qui bouscule trop d’habitudes et d’intérêts établis. La dépendance au sentier emprunté, bien connue en sciences politiques, fait son ouvrage.
L’intégration des services à la mode de chez nous
Le résultat des tentatives d'intégration des services à la française est donc assez éloigné du modèle québécois d'origine. Nous venons de le voir, la création des structures intégrées sur des territoires de proximité se solde souvent par une instance départementale complémentaire au fonctionnement historique.
Contrairement au modèle québécois qui intègre tous les services de tous les secteurs, les tentatives d’intégration françaises ne regroupent que les acteurs d’un secteur donné : les acteurs du handicap pour les communautés 360, les acteurs du secteur hébergement-logement pour les SIAO, etc.
D’autres tentatives se contentent d’intégrer plusieurs services d’un même opérateur en un nouveau service. C’est le cas des Itep (instituts thérapeutiques éducatifs et pédagogiques) en dispositif intégré ou des Spasad intégrés (services polyvalents d'aide et de soins à domicile).
Or, c’est bien l’intégration intersecteur qui semble aujourd’hui être une nécessité clinique, comme dans le cas des enfants pris en charge par la protection de l’enfance et le secteur du handicap, ou de toutes les situations dites complexes.
La loi pour le plein emploi
La loi pour le plein emploi remet le couvert en matière d’intégration des services et de création de territoires infradépartementaux. Le titre 2 intitulé « un renforcement des missions des acteurs au service du plein emploi grâce à une organisation rénovée et une coordination plus efficiente », prévoit la création d’un réseau pour l’emploi avec une gouvernance nationale, des comités territoriaux aux échelles régionales et départementales et des instances infradépartementales.
« Au niveau local, dans les limites géographiques arrêtées par le représentant de l’État dans le département en fonction des caractéristiques de chaque territoire, après concertation avec le président du conseil régional et les présidents des conseils départementaux concernés ».
Reste à voir quel sera le destin de cette nouvelle tentative d’intégration des services à l’échelle infradépartementale : vœu pieux ou réalité organisationnelle.
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