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Travail social : la précarisation en marche

Longs FormatsAudrey GUILLER04 mai 2022
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Dans la foulée de la pandémie, les débats autours des revalorisations salariales liées au Ségur et les inquiétudes croissantes autour de la baisse d'attractivité des emplois du secteur ont reposé avec force la question du salaire et des statuts des travailleurs sociaux. La précarisation de ces professions de l'aide est une réalité. Et le glissement des fonctions éloigne les métiers les plus qualifiés du terrain.

On s'en souvient : au terme de nombreuses mobilisations nationales, assez inédites dans le secteur, les travailleurs sociaux, « oubliés » du Ségur de la Santé, avaient enfin obtenu l'attention du gouvernement. Lors de la conférence des métiers du social et du médico-social, en février, Jean Castex annonçait ainsi l'extension de la revalorisation « Ségur » de 183 € aux professionnels de la filière socio-éducative.

Dossier clos, grâce à une augmentation générale ? Pas tout à fait encore.

D'abord, les salariés relevant du secteur privé associatif attendaient toujours, début mai, sa transposition dans le cadre des négociations de la branche associative sanitaire, sociale et médico-sociale (Bass). Les fonctionnaires de la territoriale seront, quant à eux, tributaires du choix de leur conseil départemental en la matière. Ensuite : quand bien même cette revalorisation s'appliquerait à tous, le compte n'y serait encore pas, après tant d'années de précarisation des métiers.

Aller plus loin

Des affichettes réalisées par le collectif Caasos, disséminées dans Montpellier à l'occasion d'une mobilisation début 2022. Les travailleurs sociaux subissent une forte perte de pouvoir d'achat ces dernières années. DR

« Non, ce n'est pas suffisant ! Nos salaires sont gelés depuis vingt ans, ils devraient être revalorisés de 400 € », proteste ainsi Lucas, éducateur spécialisé et membre du collectif d'actrices et d'acteurs du social et des oubliés de la société (Caasos) de Montpellier.

Il faut aller plus loin, confirment Greg et Pierre, membres des Broyés du social, collectif de travailleurs du social et médico-social de la Vienne : « Nos salaires ne sont plus alignés au coût de la vie. On a perdu 20 % de pouvoir d'achat ces vingt dernières années. La précarisation de nos métiers est une réalité. »

Ils donnent l'exemple d’une éducatrice en foyer débutante, qui travaille des nuits, week-ends et jours fériés et touche un peu moins de 1 500 € par mois, uniquement grâce à la prime d’internat. Sa collègue, qui accompagne des jeunes en milieu ouvert, touche le même salaire au bout de six années d'exercice.

Des salaires en berne

L'Ufas-CGT a calculé que dans les années 1970, un travailleur social débutait avec 2,5 fois le Smig. Aujourd'hui, à bac + 3, il touche le Smic + 100 €. Dans la fonction publique, le point d’indice est gelé depuis plus de quinze ans. En 2017, les salariés de la convention collective de 1966 ont vu le point revalorisé de 2 centimes. Soit une hausse de 7 € par mois.

« On voit des minimums conventionnels qui doivent être réajustés au Smic car ils sont en dessous », décrit Greg. Des agents administratifs de services sociaux, à temps partiel, qui sont éligibles au RSA. « En fin de carrière, nos salaires n'augmentent plus, poursuit-il. À 50 ans, je suis en bout de grille, je ne gagnerai pas plus. Il me reste pourtant douze ans à faire ».

Beaucoup de CDD

Christophe Dansac, directeur du groupe de recherche interdisciplinaire et pluridisciplinaire de Figeac, observe l'augmentation du recours aux contrats de droit commun dans la fonction publique. DR

D'une part les salaires sont bas. D'autre part, les CDI se font rares, alors que les CDD sont légion. Christophe Dansac, directeur du groupe de recherche interdisciplinaire et pluridisciplinaire (Grip) de Figeac, a observé que l'effectif, dans la branche animation de la fonction publique territoriale, avait bien augmenté, mais pas sous le statut de fonctionnaire. Les collectivités ont recours aux contrats de droit commun.

« Quand les professionnelles du secteur public, en majorité des femmes, sont remplacées pendant un congé maternité, c'est par des personnes en CDD, peu payées, qui apprennent si leur contrat est renouvelé ou pas deux jours avant sa fin », ajoute Delphine Depay, élue fédérale de la CGT services publics.

Faire carrière précaire

Mejed Hamzaoui, professeur émérite en sociologie à l'Université libre de Bruxelles, a étudié les trajectoires des salariés en contrat précaire : « C'est un provisoire presque définitif. Ils connaissent très peu de chômage, ne cessent pas de travailler, mais font toute leur carrière sous des contrats précaires. Leurs salaires n'augmentent pas comme ceux de leurs collègues en CDI. »

Pierre, des Broyés du social, connaît des services entiers qui fonctionnent sans titulaire : « Ce sont les CDD qu'on envoie dans les foyers excentrés, eux qui voient leurs emplois du temps brutalement modifiés. Ils sont plus corvéables. » Le turnover lié au recours aux CDD désorganise en permanence le travail du quotidien. Les équipes peinent à construire des dynamiques de groupe et des projets collectifs.

Une nouvelle logique financière

Le turnover lié au recours aux CDD précarise les professionnels, et désorganise aussi en permanence le travail du quotidien dans les structures, dénoncent les travailleurs sociaux. Collectif Caasos

En miroir à ces contrats fragiles, une nouvelle logique de financement de l'action sociale, au contrat ou à l'acte, est un autre instrument de la précarisation des professionnels.

« Au lieu de payer une prise en charge globale, les financeurs attribuent deux heures d'éducateur ici, deux heures de psychologue là, décrit Greg. On voit des collègues en service d'éducation spéciale et de soins à domicile (Sessad) devenir des VRP de la prestation éducative. Ils font parfois des entretiens avec des gamins dans leur voiture. »

Des appels d'offres au rabais