À l'heure où le monde de l’enseignement n’est plus épargné par les attentats menés au nom d'un islamisme radical, les établissements de formation en travail social veulent assumer leur responsabilité dans la transmission de valeurs qui permettent de lutter contre le terrorisme et ses justifications, affirme Marcel Jaeger, président de l'Unaforis.
À l'occasion d'une journée d'échanges organisée, par l’Union nationale des acteurs de formation et de recherche en intervention sociale (Unaforis), le 15 novembre, à l'Institut régional du travail social (IRTS) Île-de-France Montrouge, son président Marcel Jaeger a lu cette déclaration en ouverture.
L’Unaforis tient la plupart de ses réunions nationales à l’IRTS de Montrouge-Neuilly sur Marne, dans la « salle Tom ».
Cette salle a une forte portée symbolique. Son nom contribue à la mémoire du psychiatre Stanislaw Tomkiewicz né en 1925 en Pologne. On se rappellera qu’il a survécu au ghetto de Varsovie et qu’il avait été déporté au camp de Bergen-Belsen. À sa libération en 1945, à l’âge de 20 ans, il a choisi de venir en France pour devenir médecin. Il a terminé sa carrière comme directeur d’une unité Inserm dans les locaux de l’IRTS.
Après son décès en 2023, nous y avions installé, avec Jacques Ladsous, une exposition photographique consacrée à un autre juif, Janusz Korczak, médecin polonais, pédagogue, gazé en août 1942 au centre d'extermination de Treblinka où il avait été déporté avec les 192 enfants de son orphelinat.
Refus des idéologies totalitaires
L’un et l’autre ont été des initiateurs de la Convention internationale des droits de l’enfant. Stanislaw Tomkiewicz est connu aussi pour avoir élaboré et développé avec Pascal Vivet la notion de maltraitance institutionnelle qui reste malheureusement d’actualité, comme l’ont montré les récents États généraux de la lutte contre les maltraitances.
La figure de l’un et l’autre reste attachée au refus de la violence des idéologies et des organisations totalitaires, guidées par la haine, la cruauté, la volonté d’extermination des juifs, tout ce que l’on a retrouvé dans les actions menées le 7 octobre 2023 par une organisation terroriste comme le Hamas. Ce qui s’est produit est un véritable pogrom qui rappelle les exactions de la deuxième Guerre mondiale.
Crimes en France
Aujourd’hui, nous sommes face à des enchaînements de crimes : le Bataclan, Charlie Hebdo et autres attentats menés au nom d’un islamisme radical. Le monde de la formation et de l’école n’est pas épargné. Les enseignants Samuel Paty à Conflans-Sainte-Honorine et Dominique Bernard à Arras ont payé de leur vie leur fonction pédagogique dans une conception républicaine de la transmission des connaissances. Et il est à craindre que la liste de ces abominations ne soit pas terminée.
Cela donne une tonalité particulière à la thématique retenue pour la Journée mondiale du travail social du 19 mars 2024, « Buen vivir » (bien vivre). Le titre est bien choisi : il est essentiel d’affirmer nos valeurs et la finalité de l’action auprès des personnes vulnérables.
Dans le même esprit, la charte de l’Unaforis indique que ses membres se réfèrent à des « valeurs et principes communs dans le cadre de leur participation à la mission de service public et des lois de la République ».
Affirmer nos valeurs humanistes
Il faut encore rappeler la définition du travail social inscrite dans le code de l’action sociale et des familles (CASF) depuis le décret du 6 mai 2017 : « Le travail social vise à permettre l’accès des personnes à l’ensemble des droits fondamentaux, à faciliter leur inclusion sociale et à exercer une pleine citoyenneté. (…) Il s’exerce dans le cadre des principes de solidarité, de justice sociale et prend en considération la diversité des personnes bénéficiant d’un accompagnement social ».
Le rappel des valeurs est essentiel, car il ne suffit pas d’avoir des statuts, des règlements de fonctionnement. En amont, notre conception de la formation se fonde sur notre attachement aux valeurs humanistes et démocratiques, aux principes de laïcité… C’est cela qui leur donne un sens, avec la double signification de ce mot : une direction vers laquelle il faut tendre et la raison d’être, en l’occurrence l’enracinement dans une histoire.
Aggravation du sort des plus vulnérables
Mais comment faire pour que ce type de discours ne relève pas de l’angélisme dans un contexte de guerres et de barbarie comme nous le voyons dans les pays agressés comme l’Ukraine ou comme Israël ? Même si nous n’avons pas la réponse à portée de main, il faut affirmer fortement que rien ne peut justifier le déchaînement de violence des agresseurs, ni leur lâcheté, quelles que soient les raisons historiques invoquées. Rien ne peut justifier les actes de torture, les viols, les prises d’otages.
Le résultat sous nos yeux est l’aggravation de la situation des plus vulnérables : les victimes civiles, enfants et adultes qui servent de boucliers humains. Nous ne pouvons pas ne pas penser à eux, car ils nous renvoient à notre responsabilité sociale et politique.
Remise du Livre blanc du HCTS
Après les nombreux rapports de l’ancien Conseil supérieur du travail social (CSTS), puis du Haut conseil du travail social (HCTS), le Livre blanc tant attendu, qui sera remis par le président du HCTS aux ministres le 5 décembre 2023, est l’occasion d’adresser des messages forts.
Parmi eux, celui-ci : « Le travail social est confronté aujourd’hui à des enjeux économiques, sociaux et sociétaux considérables : persistance de la pauvreté et des discriminations, phénomène de radicalisations, question des migrants, transformation de la famille, effritement du lien social, cristallisation de la thématique ethnique, vieillissement de la population, isolement social des populations, transition écologique… Les sujets du travail social sont désormais bien plus liés aux évolutions du corps social dans son ensemble, plutôt qu'à l'accident de parcours de certains individus ».
Responsabilité des établissements
Mettre ces rappels en perspective avec l’actualité signifie qu’il est de notre responsabilité professionnelle de renforcer la transmission des valeurs humanistes et démocratiques, de faire saisir les évolutions de nos sociétés, de mieux faire connaître l’histoire aux nouvelles générations, de se préoccuper des dimensions internationales, d’interroger l’avenir.
De même que l’on parle de responsabilité sociale des entreprises et maintenant des associations, il existe aussi une responsabilité sociétale des établissements de formation en travail social.
Nous entendons bien l’assumer.