menuMENU
search

Le Media Social - A chaque acteur du social son actualité

Tribune libre31 août 2022
Réagir
Réagir
Imprimer
Télécharger

Accueil des personnes handicapées : une humanité à deux vitesses ?

"Le scandale dans le secteur du handicap n’est pas le détournement de richesses, mais bien l’abandon des plus fragiles par lâcheté, ou pire, désintérêt politique", dénonce un collectif de responsables associatifs et gestionnaires de structures médico-sociales dans une tribune au Media social.

Nous, acteurs du secteur du handicap, nous alarmons de l’avènement d’une humanité à deux vitesses, notamment à la suite de démissions massives des professionnels du secteur et par notre incapacité depuis un an à recruter du personnel à la hauteur des besoins des personnes en situation de handicap.

La Grande démission : comme ailleurs ?

« La Grande Démission dans les établissements accompagnant des personnes handicapées ? Bah, comme ailleurs », nous répond-on régulièrement… Et bien non, justement, pas comme ailleurs, pour plusieurs raisons.

Les contraintes des métiers du médico-social ne sont pas en phase avec les aspirations sociétales nouvelles. Les personnes très dépendantes, le sont H24, 365 jours par an. Les plannings doivent correspondre à leurs besoins vitaux. Les paies insuffisantes, l’absence d’avantages liés à la pénibilité du travail, les contraintes horaires, le manque d’effectifs, le clivage entre nos professionnels induit par les politiques publiques des dernières années, génèrent une pénurie des candidatures. Il en résulte des postes vacants, le recours massif à l’intérim, un turn-over évident, une déqualification des professionnels disponibles. Et donc une qualité de l’accompagnement très dégradée.

Le secteur souffre aussi d’une concurrence déloyale avec le secteur sanitaire. Le Ségur « sanitaire » représente une somme de 9 milliards d’euros pour un périmètre d’environ 1,5 million de salariés, contre 500 millions d’euros environ pour le secteur social et médico-social, à effectif comparable… soit 18 fois moins ! C’est l’impossibilité de nous aligner avec les salaires de l’hôpital, avec des différences de rémunérations de plusieurs centaines d’euros nets mensuels pour un(e) infirmier(e) ou un(e) aide-soignant(e).

Enfin, notre modèle économique est contraint, le secteur médico-social agit par délégation de service public, sans but lucratif, sous contrôle de la puissance publique. Le secteur est financé par elle sur des bases qui lui sont dictées, au contraire du reste de l’économie qui peut ajuster le prix de ses prestations pour agir sur les salaires et la qualité.

Jusqu’ici tout va bien… ou presque

Malgré tout, jusqu’ici, en apparence, tout va bien ! Les institutions médico-sociales continuent d’exister, les personnes vulnérables d’y être accompagnées, et les médias pour le grand public ne se font pas l’écho du moindre problème, ou peu s’en faut. Il faut dire le sujet complexe, et donc ennuyeux, incompatible avec notre ère du zapping permanent.

Il faut aussi reconnaître que les contre-feux sont puissants : finalement, les salariés ont aussi eu leur revalorisation. De 183 € nets quand même ! Ils ne doivent pas se plaindre. Certes pas tous, mais la plus grande partie, ceux qui bossent auprès des personnes vulnérables. C’est déjà beau, n’est-ce pas ! Donc oui, jusqu’ici tout va bien… ou presque... En tout cas si on ne regarde pas la qualité d’accompagnement.

Les « anecdotes » de directeurs sur des faits de « maltraitance contrainte » auxquels ils sont soumis sont légion : une structure ne dispose que de dix professionnels titulaires sur cinquante, ne trouve plus d’intérimaires, et est contrainte de priver les résidents de liberté en fermant les portes de leurs chambres afin de pouvoir travailler résident par résident ; une autre dans une situation similaire se rend compte, suite à des odeurs désagréables, que les soins d’hygiène n’ont pas été pratiqués sur une résidente, et que des mouches ont pondu sur sa blessure.

Ailleurs, faute d’infirmière pour pratiquer les alimentations gastro-entérales, les résidents concernés peuvent parfois n’être nourris qu’une fois par jour ; un établissement pour enfants polyhandicapés ferme une unité, et renvoie les enfants dans leurs familles ; et souvent les structures accueillant des adultes cessent leurs admissions et ferment des unités. 

« Salauds de gestionnaires, de directions ! », peut-on entendre. Et je crois que beaucoup de directeurs se le disent en effet… et partent. Les comités de direction des associations gestionnaires se peuplent aussi d’intérimaires.

Et les pouvoirs publics dans tout ça ?

Au niveau local, ils font comme ils peuvent, avec, il faut le reconnaître, beaucoup de bonne volonté. Ils sont informés par les gestionnaires des situations de maltraitance contrainte. Il y a encore trois ans, ils auraient déclenché une inspection, peut-être retiré les agréments. Aujourd’hui, ils ne peuvent que dire : « Faites au mieux… ».

Au niveau régional ou gouvernemental, tout le monde dans le secteur se demande bien ce qu’ils fabriquent. « Je ne peux que pleurer avec vous », répondait un responsable d’une ARS sollicité publiquement par un directeur sur la situation précédemment décrite.

Pleurer ? Alors que les professionnels se battent quotidiennement pour mener à bien une mission presque impossible ? Le scandale dans le secteur du handicap n’est pas le détournement de richesses, mais bien l’abandon des plus fragiles par lâcheté, ou pire, désintérêt politique.

Le pire n’est jamais sûr… mais il se confirme !

Certains acteurs du secteur prétendent que la crise est passagère, qu’il ne faut pas en parler, que cela abîmerait l’image du secteur… Pourtant, les signaux sont nombreux qui montrent la crise durable : les formations restent vides, les statistiques de Parcoursup déprimantes. Et les nombreux départs en retraite programmés dans les dix ans qui viennent promettent donc d’être difficiles à combler.

Et malgré cela, les pouvoirs publics poursuivent les appels à projets pour la création de nouvelles structures, sans se rendre compte qu’au mieux, si les gestionnaires heureux élus réussissent à recruter, cela se fera au détriment de structures existantes déjà fragilisées. Alors qu’une stratégie évidente serait d’étayer ce qui risque de s’effondrer avant de répondre aux nouveaux besoins.

Enfin, les financements ARS augmentent pour 2022 d’un pauvre 0,43 %, alors même que les dépensent explosent, a minima de 6 %, mettant les associations gestionnaires en péril. Alors que faire ? Attendre l’accident, le décès qui fera scandale dans les médias et amènera le gouvernement à diligenter une énième mission d’enquête ? Attendre que les associations soient étranglées financièrement et en liquidation judiciaire ?

La transition vers d’autres modèles

Les intelligences ne manquent pas pour éclairer la situation, alerter, proposer [1]. Pourtant, tout semble tourner à vide, avec une action publique déficiente.

Demain, vos petits-enfants naîtront peut-être avec un handicap. Ce soir, il n’est pas impossible que vous fassiez un AVC et vous trouviez fortement diminué et dépendant dans votre vie quotidienne. Ou votre proche aura un accident de voiture et sera traumatisé crânien. Qui s’occupera de vous, d’eux ?

Alors que faire, nous, directions et présidents, en responsabilité, et que dire aux professionnels qui nous restent, eux aussi en responsabilité, de ce qui se passe quand ils sont présents, mais surtout de ce qui se passerait si eux aussi partaient ? Juste leur rappeler, comme les deux vagabonds de Samuel Beckett, que « à cet endroit, en ce moment, l’humanité c’est nous ».

[1] La « lettre ouverte du Collège de la HAS à tous ceux qui œuvrent pour la qualité des soins et des accompagnements » du 31 mars 2022, et l'avis de juillet 2022 du Conseil économique, social et environnemental (Cese) sur « les métiers de la cohésion sociale », apportent des propositions. Le rapport Piveteau de février 2022 donne des perspectives d’évolution certainement salutaires du secteur médico-social.

Signataires : Daniel Carasco, président de l’Association de directeurs, cadres de direction du secteur social, médico-social et sanitaire (ADC) ; Peggy Mansotte, directrice de la MAS du Guillon (AFG Autisme) ; Pierre Rochas, président, et Pascal Druais, directeur général, de l’Apei d’Aix-les-Bains ; Raymond Mieusset, président, et Guillaume Pelletier, directeur général, de l’Apei de Chambéry ; Anne-Marie Deville, présidente, et Thierry Gallat, directeur général, de l’Apei de Thonon ; Marielle Lachenal, présidente de l’Association parents ensemble ; Christian Boschet, directeur de l’Association œuvre de la miséricorde ; Emmanuel Verriere, directeur général, et Amélie Duron, directrice, de l’Association Sagess ; Laure Peysieux, directrice de l’ATMP 73 ; Yves Brèche, président, et Alain Monteillard, directeur général, de Deltha Savoie ; Isabelle Simeray, directrice des établissements et services de l’Association espoir 04 Haute-Provence ; Dominique Franc, président, Isabelle Sauvageon, directrice générale, et Etienne Michon, directeur, de Sésame autisme Rhone-Alpes ; Vincent Chevrot, directeur de Sésame Autisme ; Marielle Edmond, présidente de l’Udapei Savoie ; Robin Dumas, président de l’Uriopss Auvergne-Rhône-Alpes.

ABONNEMENT
Accédez à l'intégralité de nos contenus
  • Articles & brèves
  • Vidéos & infographies
  • Longs formats & dossiers juridiques
  • Reportages & enquêtes
Découvrez nos offres