Quelques jours après le début du confinement, des mesures sont annoncées pour venir au secours des sans-abri. Mais le quotidien des professionnels dans le secteur de l'urgence n'est pas simple du tout. Illustration chez Emmaüs solidarité.
Ce jeudi matin, quand on demande à Bruno Morel, le directeur général de l'association Emmaüs solidarité, comment ça se passe au quotidien, il répond de façon laconique : « C'est compliqué ». Il faut bien dire qu'en termes de priorité, les personnes à la rue sont arrivées après les personnes fragiles, les âgés, les enfants de la protection de l'enfance. C'est seulement le mercredi 18 mars que le ministre au Logement a annoncé des mesures spécifiques pour ce public (lire encadré) qui est particulièrement vulnérable.
Fonctionnement au ralenti
La première inquiétude du DG d'Emmaüs concerne évidemment le personnel (environ 800 salariés et de très nombreux bénévoles). Entre ceux qui doivent garder leurs enfants, ceux qui nourrissent des inquiétudes pour leur santé, les structures fonctionnent au ralenti. « L'Agora qui est un accueil de jour au centre de Paris devait compter hier sur six salariés. Finalement, une seule personne est venue, obligeant le personnel administratif à donner un coup de main. » De ce fait, les ambitions d'accueil ont été restreintes. « En temps normal, l'Agora accueillait environ 200 personnes par jour. Là, notre objectif, c'est 20 personnes le matin et 20 l'après-midi. »
Service de douches restreint
Pour ces personnels comme tant d'autres dans le médico-social, la pénurie de masques et un point central. Le problème est que ce secteur ne risque pas d'en avoir dans les prochains jours. Il n'est absolument pas considéré comme prioritaire. Il va falloir faire sans, en prenant le maximum de précautions, ou fonctionner avec le maigre stock actuel. Rien n'est simple : dans certains accueils de jour, le service des douches a dû être interrompu car les moyens humains manquent pour nettoyer à fond les douches après chaque passage.
Une pièce de confinement
Actuellement, la quarantaine de centres d'hébergement compterait une vingtaine de résidents « suspects ». « Dans la mesure du possible, explique Bruno Morel, chaque centre réserve une pièce au confinement de ces personnes. Mais nous ne disposons pas de personnel médical. » Le responsable d'Emmaüs se félicite des annonces du gouvernement prévoyant la création de deux centres de desserrement qui doivent être créés à Paris pour un total de 150 places. Ces centres devraient permettre d'alléger le travail de l'hébergement d'urgence de toutes les situations qui requièrent un suivi médical.
Appel à la solidarité
Le quotidien des personnes sans-abri est également confronté à une autre interrogation : comment se nourrir ? La fermeture d'un certain nombre de lieux d'accueil, la raréfaction des passants pour faire la manche et l'observation de distances de sécurité aboutissent à priver de nombreux SDF de nourriture. Emmaüs solidarité et la Fondation Abbé Pierre lancent un grand appel à la solidarité publique. L'objectif est de transformer la collecte en chèques alimentaires qui seront distribués par les bénévoles et salariés d'Emmaüs (1). « Rien que sur Paris, si on considère que la moitié des 3 550 SDF (2) a besoin de nourriture et qu'il faut leur distribuer deux tickets de 5,70 euros par jour, nous devons rassembler au moins 20 000 euros par jour », comptabilise Bruno Morel. Et si les deux mots de l'époque tout à fait inédite que nous vivons étaient protection et générosité...
(1) Un site est dédié à cette collecte.
(2) Chiffre issu du décompte réalisé fin janvier sur Paris.
« Inventer de nouvelles solidarités »
Réunissant les acteurs de la solidarité le 17 mars, le ministre du Logement a estimé que dans le contexte actuel, « il faut inventer de nouvelles solidarités et c’est en ce sens que nous travaillons avec des associations, des collectivités et des entreprises pour identifier des solutions d’hébergement supplémentaires, dans des équipements publics, des hôtels ou des bâtiments devenus vacants du fait de la crise sanitaire ou pour appuyer la distribution de denrées alimentaires ».
Julien Denormandie a confirmé les propos du président de la République sur le report de deux mois de la fin de la trêve hivernale. 14 000 places exceptionnelles resteront ouvertes (à condition évidemment que le personnel nécessaire soit présent).
Afin que le confinement des personnes à risques soit possible, des centres de desserrements vont être créés. Le ministre annonce que « plus de 80 sites ont été pré-identifiés dans toute la France par les préfets pour un total de 2 875 places ». Cela devrait comencer dans les prochains jours par l'ouverture de deux centres à Paris.
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