Directrice d'un Ehpad public en Seine-Saint-Denis, Eve Guillaume se réjouit du succès de la campagne de vaccination des résidents, des salariés et même de certains proches. La réunion du conseil de la vie sociale (CVS) a permis de faire entendre la voix des familles et leurs propositions.
La campagne de vaccination s’est achevée il y a maintenant trois semaines. Désormais, nous vaccinerons à la marge les nouveaux résidents et les agents qui n’en ont pas encore bénéficié. En six semaines, nous avons vacciné 87 % des résidents et plus de 60 % des agents. Les 6e doses nous ont permis de vacciner les familles régulièrement présentes dans l’établissement et des personnes faisant partie du public prioritaire dans l’entourage des agents.
L'investissement de tous
Une campagne de vaccination réalisée avec un médecin présent deux jours par semaine, une infirmière et deux aides-soignantes dédiés, loin des moyens déployés dans les centres de vaccination mais avec une équipe mobilisée pour que tout se passe dans une extrême fluidité. L’investissement de tous dans cette mission, seul espoir aujourd’hui d’une sortie de crise, a été infaillible.
Des soignants à convaincre
Ces dernières semaines, nous avons beaucoup entendu de discours culpabilisateurs sur le faible nombre de soignants vaccinés. Avant d’être soignants, les agents sont des citoyens qui naviguent sur les réseaux sociaux et regardent la presse. Lors du lancement de la campagne de vaccination, les directions d’établissement ont réalisé un travail d’information conséquent avec très peu de supports.
À l’extérieur, l’ambiance générale était à la méfiance : un vaccin créé trop rapidement, des effets secondaires au long terme non connus et des rumeurs multiples… Lors d’une de nos premières réunions à l’Ehpad, notre médecin coordonnateur n’a pas échappé aux questions relatives à ces rumeurs dont la fameuse puce 4G : « J’ai vu sur les réseaux sociaux que... ».
La parole du sachant
Notre médecin a alors réalisé des supports d’information que j’ai évoqués dans une précédente chronique. Beaucoup d’Ehpad n’ont aujourd’hui pas de médecins en nombre suffisant, voire une absence de médecin coordonnateur. Comment, dès lors, réussir à convaincre les soignants de se faire vacciner ? Un directeur, un cadre de santé n’auront jamais le même impact dans une argumentation scientifique que le médecin qui est perçu comme le sachant.
Regain de vaccination
L’intervention d’Olivier Véran et les discours de plus en plus rassurants dans les médias ont contribué progressivement à rassurer les soignants et à motiver le fait de se faire vacciner. Depuis trois semaines, nous avons un regain de professionnels qui souhaitent être vaccinés. Il va falloir maintenant faciliter au mieux leur accès au vaccin.
Présence des familles
Au-delà des soignants, les proches des résidents sont parfois très présents dans le quotidien de l’établissement. Certains viennent presque tous les jours et leur présence est plus que jamais nécessaire après les périodes de confinement que nous avons vécues. La vaccination des proches est donc un enjeu pour protéger les aînés, notamment ceux qui n’ont pas pu être vaccinés pour des raisons médicales. Nous avons pris la liberté de vacciner les proches grâce aux 6e doses que nous avons générées.
Les flacons étant calculés sur cinq doses pour nos demandes de vaccins pour les résidents et les soignants, nous générions à chaque séance de vaccination des doses qui devaient trouver preneurs. Vacciner les proches, souvent eux-mêmes âgés de plus de 70 ans, a été une opportunité.
Assouplissement des règles
Le taux de vaccination de nos résidents et de nos agents nous laisse entrevoir un retour à la normale. La dernière semaine de la vaccination, nous avons réuni le conseil de la vie sociale (CVS) pour décider d’assouplir ou non les règles. Une des représentantes des résidents a expliqué qu’une heure de visite, comme cela est recommandé par le ministère, était parfois beaucoup trop courte. « On ne peut pas régler nos démarches administratives avec nos proches, le temps passe beaucoup trop vite ».
Visites plus longues...
Nous avons décidé collectivement de lever la limite d’une heure et d’indiquer que les visites devaient avoir lieu entre 14h et 17h. Les proches ou les résidents doivent indiquer à l’accueil à quelle heure ils rendront une visite afin que notre chargée des visites des familles puisse les accueillir, faire signer la charte des visites et appliquer les autres mesures à l’entrée dans l’établissement. Une étape nécessaire pour rappeler les précautions toujours en cours.
... en chambre ou dans le jardin
Les familles ont aussi abordé le manque d’intimité lors des visites dans le hall d’accueil de l’établissement : « On ne peut plus aider notre proche à mettre un peu d’ordre dans les armoires de sa chambre ». « Parfois, on parle fort et on ne s’entend plus ». Certaines familles, elles, préfèrent les visites en extérieur ou dans les espaces communs, parce que leur proche aime être entouré et ne reste jamais seul dans sa chambre. Un compromis a été trouvé : les visites auront lieu en chambre ou dans le jardin.
Reprise de l'épidémie dans le 93
Les masques et l’organisation des repas en double service pour respecter la distanciation sociale sont toujours là pour nous rappeler que l’équilibre est fragile. L’épidémie repart sur le territoire et notamment dans notre département de Seine Saint Denis, mais nous espérons que notre campagne de vaccination sera notre totem d’immunité pour les semaines à venir.
Un Carnet de bord à quatre voix
En ces temps de crise sanitaire, les missions du travail social et médico-social sont, chaque jour, remises sur la table et de plus en plus placées sous le regard du grand public. Si, voici quelque temps, il était (peut-être) possible de vivre caché pour vivre heureux, ce n'est plus possible. Il faut exposer les situations, argumenter, se poser des questions. Qui mieux que les professionnels sont en mesure de nous rendre compte de leur vécu.
Ce n'est pas tout à fait une première pour Le Media Social. Lors du premier confinement, nous avions proposé à Ève Guillaume, directrice d'Ehpad en Seine-Saint-Denis, de tenir un carnet de bord hebdomadaire. Les réactions de nos lecteurs furent très positives puisqu'on permettait à chacun de rentrer dans la « cuisine » d'un Ehpad.
Voilà pourquoi Le Media Social a décidé de prolonger cette expérience en lançant ce carnet de bord hebdomadaire à quatre voix *, les voix de quatre professionnelles de secteurs différents. Pour « ouvrir le bal », nous avons demandé à Ève Guillaume (de nouveau), Christel Prado, Dafna Mouchenik et Laura Izzo de tenir à tour de rôle ce carnet de bord. Qu'elles en soient ici remerciées. Évidemment, ces chroniques appellent le témoignage d'autres professionnels. À vos claviers !
* Les propos tenus par les professionnels dans le cadre de ce Carnet de bord n'engagent pas la rédaction du Media social.
Les précédentes chroniques :
- Balance ton quoi !, par Dafna Mouchenik
- Pour que naître femme ne soit pas la pire des punitions, par Christel Prado
- L'enfant et le parent malade, par Laura Izzo