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Tribune libre18 janvier 2021
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Vaccination : le rôle crucial de l'information

Chaque semaine, une professionnelle propose un carnet de bord en relation directe avec sa pratique. Aujourd'hui, Eve Guillaume, directrice d'un Ehpad en Seine-Saint-Denis, raconte comment son établissement s'est organisé pour informer les résidents et les salariés sur le vaccin anti-Covid.

Depuis des mois, nous espérons une issue à cette crise sanitaire et chaque jour, nous espérons que le virus restera à la porte de l’établissement. Une lueur d’espoir est apparue ces dernières semaines avec l’arrivée du vaccin contre la Covid-19 (1).

Le souci des fêtes

En décembre, lorsque l’on nous annonce l’imminence du début de la campagne de vaccination dans les Ehpad, ce sujet est relativement absent des discussions avec les résidents et les familles. Les fêtes de fin d’année sont davantage dans les esprits. On se préoccupe de mettre en place des dispositions particulières pour permettre aux résidents de partager un repas en famille ou pouvoir rentrer au domicile quelques jours sans mettre en danger la collectivité. Comme chaque année, nous ne croulons pas sous la demande des sorties pour les fêtes, mais pour les quelques résidents qui le souhaitent, nous faisons notre maximum pour qu’ils profitent d’un moment de convivialité dans cette période difficile.

Une réunion mouvementée...

Conscients que nous risquons de devoir mettre en place une campagne de vaccination en interne très rapidement, nous avons fait le choix de commencer très tôt la sensibilisation, notamment avec une réunion d’information réalisée par notre médecin auprès des agents puis des résidents mi-décembre. Durant cette réunion, Irène interrompt régulièrement notre médecin, pour imposer son avis sur les risques de la vaccination. Colette et Denise discutent entre elles, interférant dans le discours et montrant qu’elles seront difficiles à convaincre. Pendant ce temps, les convaincus de la vaccination s’amusent des arguments des réticents et lèvent régulièrement les yeux au ciel en entendant les arguments. Une réunion riche, mais qui nous apprend que le chemin est encore long.

... et une rencontre secrète

Un soir, les soignants et le médecin surprennent par hasard une petite réunion entre résidents dans une chambre. Une des résidentes tente de convaincre ses voisins qu’il ne faut surtout pas se faire vacciner ! Il circule des informations incroyables sur les réseaux sociaux, elle le tient de source sûre. Aucun résident n’a de smartphone, seulement quelques-uns sont équipés de tablettes et d’ordinateurs, nous pensions donc être épargnés, mais pourtant les influences « antivax » arrivent jusqu’aux oreilles de nos aînés.

Grand panneau d'affichage

Convaincu que la vaccination est aujourd’hui notre seul espoir pour des jours meilleurs, on se retrousse les manches. Le médecin qui coordonne la vaccination part à la recherche d’outils de communication pour vulgariser les études scientifiques. Elle décide alors de créer un grand panneau d’affichage dans le hall d’entrée où se déroulent les visites des familles. On y affiche pêle-mêle toutes les informations pertinentes et grand public que nous trouvons sous la bannière « Le vaccin n’est pas obligatoire mais nous avons le devoir de vous informer » : bande dessinée de « Vie de Carabin », article de « Quoi dans mon assiette », poste humoristique de « To be or not Toubib  »…

Défi logistique

L’agence régionale de santé nous a annoncé notre date officielle de livraison du vaccin. Le 25 janvier, notre pharmacie les réceptionnera et le 26, nous pourrons commencer à vacciner, en présence de notre médecin.

Vacciner en Ehpad représente un défi logistique, notamment avec les règles de conservation du vaccin Pfizer. Notre médecin étant présent le mardi et le jeudi, le vaccin pouvant se conserver 5 jours au réfrigérateur, nous espérions une livraison un lundi sans quoi nous aurions dû mobiliser des ressources médicales extérieures en renfort.

Compte à rebours

À partir de cet instant, le compte à rebours du recueil des consentements est lancé. Les médecins traitants, après avoir régulièrement informé leurs patients lors de leurs visites, commencent les consultations pré-vaccinales. En parallèle, nous avons informé les familles en leur faisant parvenir différents supports de communication « maison » ainsi que les flyers de Santé publique France. Nous avons réalisé un phoning de toutes les familles et de tous les tuteurs pour les tenir informés.

Changement d'avis

Et nous avons été positivement étonnés. Des familles qui, au début du mois, nous informaient du refus de faire vacciner leur proche en incapacité de décider, ont soudainement changé d’avis. Nos résidents si réticents lors de la première réunion avec le médecin ou qui argumentaient auprès d’autres résidents leur réticence, se sont finalement montrés favorables à la vaccination. Un changement d’avis que l’on put imputer à l’insistance de leur proche sur l’importance de se protéger ou tout simplement parce que les informations du médecin et de l’établissement les ont rassurés.

Et les soignants ?

Ce devoir d’informer a finalement fait ses preuves. Alors que nos établissements ne sont pas dotés de budget de communication conséquent et que les métiers de la communication en sont absents, nous avons appris en quelques semaines que la professionnalisation de celle-ci était un enjeu crucial.

Pour autant, il nous reste un enjeu majeur à surmonter dans cette campagne : la vaccination des soignants. Nous ne semblons pas à ce jour avoir trouvé les outils permettant de répondre à leurs incertitudes. Ils ne sont pas opposés à la vaccination, mais ils souhaitent attendre.

Obligation vaccinale ?

Un positionnement qui ne surprend pas puisque chaque année, le personnel soignant en France ne se vaccine majoritairement pas contre la grippe (35,4 % du personnel des hôpitaux et des cliniques s’est vacciné contre la grippe saisonnière en 2018 selon Santé Publique France dont seulement 21 % des aides-soignants). La question de l’obligation vaccinale pour les soignants nous agite et faciliterait notre quotidien. Pour autant, pouvons-nous faire reposer sur les soignants une contrainte supérieure à celle des autres citoyens ? Renforcer la place indispensable de l’initiation à la recherche dans toutes les formations de santé semble en tout cas une première réponse.

Précieux temps supplémentaire

Le délai de vaccination en Ehpad a été dénoncé par certains. Il est nécessaire de rappeler que nos établissements ont peu de ressources médicales comparativement aux hôpitaux. Nous travaillons avec des officines de ville dans la majorité des établissements pour la livraison des traitements. Cela explique le casse-tête de nos tutelles pour organiser les livraisons sur une courte période. Ce temps supplémentaire n’aura pas été perdu, il nous aura offert la possibilité de prendre le temps d’informer les résidents, leurs familles et leurs tuteurs et de coordonner la campagne avec tous les acteurs. Une vaccination début janvier ne nous aurait certainement pas permis de vacciner autant de résidents dans le cas de mon établissement.

(1) Sur cette question, lire notamment nos derniers articles : « Domicile et Ehpad : le Synerpa demande la vaccination de tous les professionnels » ; « Vaccination : les Ehpad font ce qu'ils veulent... ou peuvent » ; « Vaccination : quelle est la marche à suivre pour les Ehpad ? » 

Un carnet de bord à quatre voix

En ces temps de crise sanitaire, les missions du travail social et médico-social sont, chaque jour, remises sur la table et de plus en plus placées sous le regard du grand public. Si, voici quelque temps, il était (peut-être) possible de vivre caché pour vivre heureux, ce n'est plus possible. Il faut exposer les situations, argumenter, se poser des questions. Qui mieux que les professionnels sont en mesure de nous rendre compte de leur vécu. 

Ce n'est pas tout à fait une première pour Le Media social. Lors du confinement au printemps 2020, nous avions proposé à Ève Guillaume, directrice d'Ehpad en Seine-Saint-Denis de tenir un carnet de bord hebdomadaire. Les réactions de nos lecteurs furent très positives puisqu'on permettait à chacun de rentrer dans la « cuisine » d'un Ehpad.

Voilà pourquoi Le Media social a décidé de prolonger cette expérience en lançant ce carnet de bord hebdomadaire avec les voix de quatre professionnelles de secteurs différents. Pour « ouvrir le bal », nous avons demandé à Ève Guillaume (de nouveau), Christel Prado, Dafna Mouchenik et Laura Izzo de tenir à tour de rôle ce carnet de bord. Qu'elles en soient ici remerciées. Évidemment, ces chroniques appellent le témoignage d'autres professionnels. À vos claviers !

Les quatre derniers carnets de bord :

EveGUILLAUME
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