Comment l'informatique imprime-t-elle sa marque sur les conditions de travail des acteurs sociaux ? Le regard de Vincent Mandinaud, chargé de mission à l’Anact, avant son intervention au webinaire sur le "numérique en travail social" organisé, mardi 1er décembre, par l'IRTS Ile-de-France Montrouge Neuilly-sur-Marne et Le Media social.
Les travailleurs sociaux voient les outils numériques s’imposer, peu à peu, au sein de leurs organisations. Cela aboutit-il à des demandes d’interventions à votre Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (Anact) ?
Vincent Mandinaud Une association de services à la personne, par exemple, a pu solliciter l’une de nos agences régionales, l’Aract Bretagne, pour l’accompagner dans la mise en place de la télégestion. La directrice cherchait un appui pour que cette digitalisation vienne soutenir l’activité de ses personnels, et non la perturber. Notre accompagnement a consisté à analyser leur activité, à faciliter les échanges entre les professionnels sur leur travail et sur le projet. Leurs besoins ont ainsi pu être formalisés, dans un cahier des charges à destination du fournisseur de solution technologique, pour que celui-ci adapte ses propositions.
Au niveau national aussi, l’Anact a pu accompagner des organisations du secteur. Par exemple, l’Union des employeurs de l’économie sociale et solidaire (Udes), a pu faire appel à nos services. Nous avons réalisé un diagnostic sur l’impact des transformations numériques sur les conditions de travail dans différentes branches, notamment de l’aide à domicile, de l’animation ou des missions locales, en vue d’engager une négociation multi-professionnelle sur ce thème.
Notez-vous des plaintes des travailleurs sociaux face à l’immixtion de l’ordinateur dans leurs accompagnements ?
V.M. Le numérique est souvent présenté comme devant faire gagner du temps et de la productivité. Et puisque le travail social comporte une bonne part de tâches administratives, l’idée est que l’ordinateur pourrait les prendre en charge, pour dégager in fine du temps pour le travail de « care ».
Cependant, sur le terrain, on a pu observer que la transformation numérique pouvait conduire certains conseillers en insertion sociale et professionnelle à suivre des scripts, plutôt que d’entrer en interaction avec leurs usagers de manière plus ouverte. Au lieu de soulager le conseiller pour lui permettre de s’engager dans une relation plus qualitative, les outils numériques sont finalement venus soutenir une certaine logique de gestion du social, en restreignant la quantité et la qualité de temps consacré aux usagers, mais aussi en contraignant les gestes professionnels du conseiller.
La machine n’aide donc pas à travailler avec l’humain ?
V.M. On ne peut pas être aussi définitif et radical. Un travail implique toujours des outils, des techniques... Les machines peuvent être vécues comme des ressources, ou bien comme des contraintes. Tout dépend de la façon dont elles sont conçues, mais aussi perçues, discutées, déployées dans les organisations. Certaines technologies peuvent être considérées comme « substitutives », lorsqu’elles visent à remplacer les individus dans leur travail, tandis que d’autres sont « supplétives », si elles viennent améliorer les capacités des individus dans leur activité, voire « palliatives », quand elles viennent compenser un manque ou une fragilité. Il n’y a pas de déterminisme technologique au sens strict. Mais les technologies ne sont pas neutres !
Avec le numérique se diffusent aussi des outils collaboratifs, pour s’organiser ou communiquer entre collègues à distance : s’avèrent-ils utiles au travail en équipe ?
V.M. Les retours d’expérience sont plutôt en demi-teinte. Le problème est que bien souvent la collaboration relève davantage d’une prescription, si ce n’est d’une injonction. Or ces outils ne génèrent pas automatiquement une collaboration effective, loin s’en faut. Encore faut-il qu’ils s’intègrent aux collectifs de travail, et qu’ils soutiennent de façon effective l’activité des professionnels, sans les exposer à des formes d’évaluation plus ou moins assumées.
Du point de vue de l’Anact, le numérique a donc des effets très variables sur les conditions de travail ?
V.M. Oui, ses effets sont ambivalents. Nous n’avons pas à faire « au numérique » mais à « des numériques ». Différents types de technologies et d’organisations existent, et peuvent donner lieu à différents usages, et les risques professionnels varient en outre selon le métier, le statut, la position occupée. Par exemple, un cadre dirigeant d’une association d’éducation populaire, engagé et équipé comme il se doit, aura sans doute quelques difficultés à activer son droit à la déconnexion, et réellement décrocher de son smartphone et de ses tableurs le soir et le week-end. Les problèmes diffèrent pour le conseiller qui doit suivre un script sans beaucoup de marge de manœuvre ni de soutien managérial ou collectif, et qui tient la relation avec les bénéficiaires par écran interposé de façon routinière. Enfin ils sont tout autres pour des personnes effrayées par le numérique, qui doivent désormais composer avec un nouvel environnement de travail sans y être préparées ou convenablement accompagnées.
Inscrivez-vous gratuitement à notre webinaire du 1er décembre
L'IRTS Ile-de-France Montrouge Neuilly-sur-Marne et Le Media social s'associent pour vous proposer quatre webinaires gratuits sur le « numérique en travail social » (Numets).
Après un premier séminaire consacré à l'accompagnement, le deuxième porte sur l'organisation du travail social : « Qu’avons-nous appris en termes de coopération, de communication interne, de management ? ». Il se tiendra en ligne mardi 1er décembre 2020 de 15h30 à 17h.
Il sera animé par Francis Letellier, consultant et formateur, ancien directeur d’IRTS, et par Olivier Bonnin, journaliste au Media social. Trois intervenants échangeront leurs points de vue : Jean-Luc Cousineau, directeur général de l'association Cordia, Vincent Mandinaud, chargé de mission à l'Anact, et Frédéric Ronsin, éducateur spécialisé et étudiant en master de management des organisations sanitaires et sociales à l'IRTS.
Au programme de ce webinaire, notamment, les effets du numérique sur l'organisation interne des établissements et services, sur les conditions de travail, mais aussi sur les échanges avec les partenaires et les tutelles, et enfin sur la place accordée aux usagers.
📌 Inscrivez-vous à notre deuxième webinaire du 1er décembre, « Le numérique dans l'organisation du travail social » afin de pouvoir y assister en direct ou le visionner plus tard en relecture.
📌 Le troisième webinaire aura lieu le 15 décembre 2020 de 15h30 à 17h et portera sur « les enjeux de l'inclusion dans une société numérisée ».