Longtemps dissimulées sous le terme de « maltraitance », les violences contre les femmes en situation de handicap investissent timidement le débat public. Le conseil départemental de Loire-Atlantique y a consacré une journée d'étude, le 3 décembre. L'occasion pour les professionnels de partager leurs expériences.
« Je suis triso, belle, mais battue et violée. [...] Hier, il m'a cassé le bras. Je suis à l'hôpital. Qui peut me sauver ? »
Les mots d'Anne, 20 ans, violentée au quotidien par son conjoint et sa famille, heurtent. Ils font écho aux sept autres témoignages de femmes en situation de handicap qui composent « Violences du silence », une vidéo réalisée en 2015 par Catherine Cabrol et produite par l’association Femmes pour le Dire, Femmes pour Agir (FDFA), qui lutte « contre la double discrimination qu’entraîne le fait d’être femme et handicapée ».
C'est par cette vidéo qu'a débuté la journée d'étude consacrée à la lutte contre les violences faites aux femmes en situation de handicap, organisée par le conseil départemental de Loire-Atlantique, à Nantes, le 3 décembre.
Huit femmes sur dix
Le sujet est longtemps resté confidentiel, ou dissimulé derrière le terme plus vague de « maltraitance ». Pourtant, l'ampleur du phénomène est exceptionnelle, bien que les statistiques précises et récentes manquent. Tout au plus sait-on, grâce à une résolution du Parlement européen de 2007, que 80 % des femmes en situation de handicap sont victimes de violences psychologique et physique.
Le problème parvient néanmoins à faire son apparition dans le débat public. Un groupe de travail dédié a d'ailleurs été créé dans le cadre du Grenelle contre les violences conjugales, qui s'est achevé le 25 novembre dernier. Parallèlement, un rapport sénatorial, rendu public le 28 octobre, appelait « à un changement de regard sur les violences faites aux femmes handicapées » et formulait des propositions.
Des mesures dans le cadre du Grenelle
Plusieurs mesures issues du Grenelle concernent directement ces femmes. Parmi elles, la création, dans chaque région, de « centres ressources », pour les accompagner dans leur vie intime et sexuelle et dans leur parentalité, ainsi que la diffusion de bonnes pratiques à destination des professionnels des établissements sociaux et médico-sociaux.
Mieux appréhender les violences
Car les professionnels ont leur rôle à jouer, et c'est justement pour leur permettre de mieux appréhender les violences subies par les femmes en situation de handicap et de partager leurs expériences en la matière que la journée d'étude nantaise était organisée.
Ces femmes « vivent les mêmes violences que les autres mais la situation de handicap peut amplifier les violences ou être à l'origine d'actes spécifiques », ont expliqué Valérie Thébault et Lucie Guerreiro, assistantes sociales et formatrices chez Solidarités femmes Loire‑Atlantique.
Les violences qu'elles subissent sont psychologiques, verbales, physiques, économiques ou encore sexuelles. Aux violences des conjoints et des familles, s'ajoutent celles exercées en institutions qui ne sont pas chiffrées, mais bien réelles.
Identifier les violences
Le handicap rend plus difficile l'identification des situations de violences. « Ces femmes ont une tolérance à la violence et à la souffrance plus forte que les autres », explique ainsi Claire Desaint, co-présidente de FDFA.
Leur rapport au toucher est lui aussi particulier. Celles qui sont le plus manipulées, parfois depuis leur naissance, peinent à faire la différence entre ce qui relève du soin et ce qui constitue une agression. D'autres « n'ont pas la capacité de verbaliser et vont laisser faire », explique Claudie Vigie, formatrice handicap et membre de l'association pour adultes et jeunes handicapés de Loire-Atlantique (Apajh 44).
C'est notamment pour cette raison que l'éducation à la vie intime et sexuelle est importante. Elle permet à ces femmes, que la société peine à voir comme des êtres sexués, d'intégrer la notion de consentement.
Se faire confiance
Face à ces violences, la vigilance des professionnels est primordiale, car c'est notamment à eux qu'il revient de détecter et de signaler aux autorités de telles situations. Et l'exercice peut être délicat.
« En tant que professionnel, il faut se faire confiance sur ces petits doutes qui nous interpellent », estime Lucie Guerreiro. « La première chose à faire est peut-être de poser la question. Et la meilleure question, c'est celle que l'on se sent de poser. Si on n'est pas à l'aise, on peut demander quelque chose de plus général comme "comment ça se passe à la maison ?" ».
Une chose est sûre, selon sa collègue Valérie Thébault, « il ne faut pas rester seule face à une situation de violences conjugales ». L'importance de la collaboration entre les services et les différents intervenants est d'ailleurs régulièrement revenue tout au long de cette journée d'étude.
Et cette idée de transversalité sous-tend les initiatives lancées ces dernières années en Loire-Atlantique et dans la France entière pour lutter contre les violences faites aux femmes en situation de handicap.
L'importance du suivi gynécologique
Parmi elles, le programme Handigynéco, initié par l'agence régionale de santé d'Île-de-France. L'objectif ? Permettre aux femmes handicapées accueillies dans des établissements médico-sociaux d'avoir accès aux soins gynécologiques.
Il est en effet ressorti de l'étude menée préalablement au lancement du dispositif que seules 58 % de ces femmes ont un suivi gynécologique. En cause, selon les professionnels, l'absence de locaux et de matériel adapté mais aussi de formation pour accueillir ces patientes.
C'est pourquoi l'ARS a formé 22 sages-femmes qui interviennent dans 38 établissements de cinq départements franciliens. Outre ces consultations, le dispositif prévoit l'organisation d'ateliers à destination des patientes, « car c'est en connaissant son corps qu'on arrive à identifier les violences », a expliqué Sabrina Hedhili, sage-femme et cheffe de projet « Handigynéco en pratique ».
Les professionnels sont des vecteurs
Des séances sont aussi organisées pour le personnel des établissements, qu'il faut parfois convaincre de l'intérêt d'un suivi gynécologique. « Ce sont eux qui sont les vecteurs et qui peuvent permettre à ces femmes d'avoir des consultations. Si eux ne sont pas convaincus, ils ne convaincront pas les femmes », a précisé Sabrina Hedhili.
L'idée, à terme, est aussi de développer une charte sur la vie affective et sexuelle dans les établissements. Un annuaire des sages-femmes formées précisant les handicaps qu'elles prennent en charge doit aussi voir le jour.
Une collaboration association/Esat
Au niveau plus local, l'association Solidarité femmes de la Loire-Atlantique, spécialisée dans la mise en sécurité des femmes victimes de violence conjugale, et l'Esat Nant'Est se sont associés pour créer des ateliers à destination des travailleurs hommes et femmes.
Trois séances sont prévues. Les violences et agressions sont abordées lors de la première séance, tandis que la deuxième doit leur permettre d'identifier ce qu'est une relation saine et de se positionner par rapport à l'autre. La dernière séance tourne autour des violences conjugales. Elle se déroule dans les locaux de l'association, afin que les travailleurs puissent repérer les lieux en cas de besoin.
« C'est un travail mené en binôme par l'association et l'Esat. Cela permet un croisement de nos deux regards », a expliqué Nathalie Fretillet, assistante sociale et formatrice chez Solidarité femmes.
Les obstacles persistent
Malgré ces initiatives, les obstacles à la lutte contre les violences faites aux femmes en situation de handicap demeurent nombreux. Ils ont été pointés du doigt par les différents intervenants et par les professionnels présents.
« L'hébergement est une difficulté », a notamment expliqué Nathalie Fretillet. Si Solidarité femmes s'est fait une spécialité de mettre à l'abri les femmes victimes de violences conjugales, en leur proposant notamment un toit, l'accueil de personnes en situation de handicap reste compliqué.
Tout dépend du handicap et du niveau dépendance de la personne car « les femmes sont autonomes dans l'hébergement, l'association n'intervient pas au quotidien », a ainsi expliqué Nathalie Fretillet. La question du secret d'adresse, dont peut être assortie une ordonnance de protection, se pose aussi quand des professionnels interviennent à domicile.
La problématique de l'accessibilité est aussi centrale, qu'il s'agisse des centres d'hébergement d'urgence, des commissariats et brigades de gendarmerie ou des palais de justice.
Changer le regard de la société
De façon plus générale, les témoignages qui se sont succédé ont rappelé que le changement de perception des femmes handicapées est un préalable à la fin des violences.
« Ce qui est extrêmement important, c'est le regard social : le regard invalidant vis-à-vis de l'autre », a notamment expliqué Lise Poirier Courbet, psychologue et membre de FDFA, qui perçoit ces préjugés comme « une double peine ».
Un sentiment partagé par Claire Desaint, qui estime que « changer le regard sur les femmes en situation de handicap est la meilleure prévention des violences ».